Carnet de Louis Favreau
Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC)
Texte paru à la une du journal RÉSEAUX (numéro de septembre 2008)

Initiatives citoyennes, démocratie et développement des communautés au Québec

septembre 2008 par Louis Favreau

Toute société démocratique a des fondements sociaux collectifs qui reposent sur la citoyenneté et la solidarité entre citoyens. En premier lieu, une solidarité intergénérationnelle : un développement social dans la durée assurée par une couverture sociale obligatoire et généralisée de l’éducation, de la santé et des servies sociaux par exemple ; une solidarité entre les différents groupes de la société qui favorise la résolution des conflits par la négociation sur la base du droit communément admis par tous ; une solidarité des territoires par le développement de services publics et collectifs dans toutes les communautés (équité territoriale). Comment cela se traduit-il concrètement ?

L’impôt, la base de notre citoyenneté

Au point de départ, la démocratie repose sur une philosophie politique qui donne à l’impôt le fondement premier de la citoyenneté. En d’autres termes, une fiscalité obtenue sur un financement librement consenti des citoyens d’un même pays, un impôt qui est le prix que nous payons pour avoir collectivement des enseignants, des infirmières et des travailleurs sociaux, des routes, de l’électricité à moindre coût, une collecte sélective des déchets, des espaces aménagés pour les loisirs, des mesures en faveur de l’emploi des jeunes, en faveur de l’habitat coopératif et communautaire…Réalité souvent oubliée ou perdue de vue notamment par les nouvelles générations qui n’ont pas eu à lutter pour que le Québec en arrive là et qui se disent trop taxées. N’empêche : si l’impôt est le prix que l’on paie comme citoyens pour avoir des services collectifs, cet impôt est la première expression forte de la citoyenneté et de la démocratie. Pourquoi ? Parce que l’argent des impôts sert à financer des services publics accessibles à tous, favorise une certaine redistribution de la richesse et agit sur l’économie et l’emploi, le développement de nos communautés…. La force de ce lien entre citoyenneté et impôt est le point de jonction de la redistribution de la richesse et de la démocratie (liberté, égalité, fraternité).

C’est là toute la base des relations entre l’économie et nos institutions démocratiques. Sans institutions et mouvements démocratiques, l’économie est laissée à elle-même et la croissance considérée comme source automatique de progrès social et culturel (pensée néolibérale). La démocratie fonctionne autrement : elle s’appuie en premier lieu sur les élus qui nous représentent, les débats à l’Assemblée nationale, les Commissions sur l’agriculture, sur la santé, sur plein de dossiers chauds. Puis il y a les gouvernements locaux qui cherchent à se tailler une place par rapport aux gouvernements centraux. Mais la démocratie n’est pas que représentative. Elle est aussi faite de milliers d’associations de toutes sortes : des centres de loisirs communautaires de quartier, des coopératives, des syndicats de travailleurs, des organisations qui soutiennent le développement socioéconomique de leur communauté, des organisations de coopération internationale, des groupes de femmes, des réseaux de jeunes, des organisations d’agriculteurs….

Les associations citoyennes : une autre facette de la démocratie

Du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis avec Martin Luther King en passant par Saul Alinsky qui fait de l’organisation communautaire dans les quartiers populaires de Chicago et Cesar Chavez qui organise en syndicats les travailleurs agricoles des États du Sud, toute une tradition démocratique d’associations citoyennes s’est bâtie dans les années 60-70 sur la revendication de droits sociaux. Puis, dans les années 80 et 90, c’est le développement d’alternatives socioéconomiques dans les communautés qui prend les devants de la scène : mise sur pied de coopératives, soutien à la petite entreprise locale, développement économique local…

Au Québec, loin d’être étrangers à cette tendance, nous avons eu nos Opérations dignité qui traduisaient en région la protestation des communautés rurales pendant que les comités de citoyens traduisaient celles des quartiers urbains de Québec, Montréal, Sherbrooke ou Trois-Rivières. Et par la suite des coopératives de développement régional (CDR), des SADC, des CDÉC et finalement des CLD ont émergé traduisant la nécessité de ne pas uniquement résister ou contester mais aussi de construire dès maintenant des alternatives et prendre en charge la relance de nos communautés...Bref ne pas miser sur le « tout à l’État », encore moins sur le « tout au marché ». C’est Boisaco sur la Côte-Nord ou la Société Angus dans Rosemont/Hochelaga-Maisonneuve. Sans oublier l’agriculture au service de la communauté (ASC) et le commerce équitable initiés par le mouvement de la consommation responsable. Autant d’initiatives qui démontrent que la démocratie ne se résume pas aux élections à tous les quatre ans. La démocratie est aussi associative, faite de ces milliers de groupes, réseaux, organisations. Toute société qui n’a pas de « société civile » forte devient rapidement un régime autoritaire : la majorité des régimes politiques de la planète en font la démonstration.

La démocratie, c’est aussi la délibération

De plus, en démocratie, la délibération mobilise des énergies citoyennes dans des espaces de dialogue multi-acteurs où l’associatif, le public et le privé se côtoient au sein d’institutions qui relèvent de l’État québécois : c’était le cas des Conseils régionaux de développement. Est-ce encore le cas avec les Conférences régionales d’élus ? C’était le cas avec l’arrivée des CLSC. Est-ce encore le cas avec les CSSS. D’où le diagnostic de plusieurs : ces dispositifs ont été créés par le pouvoir, les citoyens n’y ont qu’un pouvoir consultatif. Il n’empêche : c’est aussi une zone d’influence de groupes de citoyens qui sont des groupes d’intérêt public. Où en sommes-nous au Québec de ce côté-là ? Dossier à suivre.

Pour en savoir plus :

Bourque, Denis (2008). Concertation et partenariat. Entre levier et piège du développement des communautés. Collection Initiatives, PUQ, Sainte-Foy.

Bourque, Denis, Y. Comeau, L. Favreau et al. (2006), L’organisation communautaire : fondements, approches et champs de pratique. Presses de l’Université du Québec, Collection Pratiques et politiques sociales et économiques.


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