Carnet de Louis Favreau
Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC)

Dérive écologique : le capitalisme enfonce nos sociétés dans la crise

mardi 5 octobre 2010 par Louis Favreau

À l’occasion de la conférence internationale de Lévis organisée par le mouvement coopératif, conférence où tous les mouvements (des travailleurs, de producteurs agricoles, communautaire, écologique, de solidarité internationale…) étaient invités, le journal Le Devoir faisait paraître un cahier spécial de 12 pages samedi le 11 septembre dernier. J’ai eu un entretien avec le journaliste Réginald Harvey sur la crise actuelle, ses déclencheurs, les traits marquants de celle-ci et ses effets sur les mouvements sociaux. Nous le reproduisons intégralement. Quinze autres articles font partie du cahier. Les textes de ce cahier sont disponibles sur le site de la conférence dans la rubrique Enjeux. Cet article s’inscrit directement dans le contexte international de l’été 2010, été pendant lequel le Golfe du Mexique a été victime d’une marée noire qui a jeté à terre l’économie de toute une région et le Pakistan qui a subi des inondations monstres qui ont bouleversé l’économie de tout le pays. Accident de parcours dans le premier cas, catastrophe naturelle dans le second, ces deux hypothèses ne tiennent plus la route. Et pendant ce temps-là, le gaz de schiste mobilise l’opinion publique et des milliers de citoyens directement concernés en Montérégie et dans la région de Québec-Chaudières/Appalaches. Et bientôt d’autres régions de la partie la plus peuplée du Québec le long du fleuve Saint-Laurent. À coup sûr un dossier à suivre.

P.S. J’ai aussi accordé une entrevue de 20 minutes à l’émission Aujourd’hui le monde à Radio Ville-Marie, entrevue que vous pouvez écouter en allant à la fin de cet article

Une planète en péril - La dérive écologique enfonce le capitalisme dans la crise

« C’est la dictature des actionnaires et du court terme, en matière de profits, qui prévaut »

par Réginald Harvey 11 septembre 2010 Actualités économiques, Le Devoir, cahier spécial

Il existe une série d’éléments déclencheurs qui ont provoqué la crise du capitalisme. Les pays, les sociétés et les collectivités continuent d’être affectés par les perturbations économiques d’un système répandu à l’échelle d’une planète qui, elle-même, est menacée dans son existence par les débordements de la consommation. Louis Favreau rend compte du nouvel ordre économique.

Spécialisé en sociologie des mouvements sociaux, Louis Favreau est professeur à l’Université du Québec en Outaouais. Il a récemment procédé à un tour d’horizon de la sociologie économique et politique pour tenter de comprendre la crise mondiale actuelle, dont il identifie ainsi les causes : « C’est essentiellement la mondialisation néolibérale qui en est le déclencheur. On a vécu les trente années glorieuses qui se situent entre 1945 et 1975 et qui expriment bien cette réalité quand on parle du New Deal du XXe siècle, de l’entente entre capitalisme et monde ouvrier. Depuis trente ans, de 1975 à 2005, on vit des années différentes car, s’il existe une espèce de déblocage politique pour le capitalisme à l’échelle internationale, ce qu’illustre la chute du mur de Berlin en 1989, celui-ci peut ainsi se déployer avec beaucoup moins de contrôle et de réglementation. »

Un autre élément entre en ligne de compte : « Les finances occupent le poste de commande. Par conséquent, c’est la dictature des actionnaires et du court terme, en matière de profits, qui prévaut sur l’entrepreneuriat des gestionnaires qui négociaient dans le cadre du New Deal le développement de leur entreprise avec l’autre acteur qu’était le syndicalisme. »

Un autre facteur s’ajoute : « Le monde du travail est en mutation, alors que la précarité est à la hausse à cause des délocalisations vers le sud à l’intérieur des États-Unis ; il y a aussi un déblocage vers les pays du Sud. L’expression même de ce phénomène, c’est la multinationale Wal-Mart, dont tous les commerces, à deux ou trois exceptions près au Québec, ne sont pas syndiqués ; ses dirigeants mènent une lutte antisyndicale farouche, leurs salaires sont relativement bas et leurs coûts de production sont peu élevés parce qu’ils bénéficient d’une main-d’oeuvre à très bon marché dans les pays du Sud. »

Le choc et les dommages causés

Il se produira finalement une explosion d’envergure en 2008 : « Les grandes forteresses ouvrières des années 50 et 60, comme celles dans l’industrie de l’automobile et du papier, tombent les unes après les autres ; grâce au New Deal, celles-ci assuraient la sécurité d’emploi, et on parlait même d’aristocratie ouvrière dans la métallurgie, l’automobile et le papier. Tout cela s’écroule progressivement, et, finalement, survient la bulle immobilière aux États-Unis, avec l’élastique du crédit qui est étiré au maximum et qui finit par "péter". »

À cause de tous les facteurs en présence, il se produit alors un approfondissement très important de la crise : « Il y a maintenant trois choses qui se télescopent en même temps : la crise économique, d’abord ; la crise sociale, ensuite, parce qu’on voit monter des inégalités sociales dans nombre de pays et à l’échelle de la planète, et, depuis vingt ans, c’est la constante, alors qu’il n’y a pas eu d’augmentation réelle du niveau de vie d’une grande partie des gens ; et la crise à dimension écologique, enfin, parce qu’on arrive là à quelque chose qui est majeur, c’est-à-dire que l’écologie est devenue une urgence et qu’il y a de plus en plus de mouvements qui s’en occupent ; de nos jours, le principal trait marquant, c’est que la dimension écologique s’ajoute à la situation économique et sociale. »

Le Québec dans le giron de la tourmente

Qu’en est-il ici des effets entraînés par toutes ces causes accumulées sur plusieurs décennies ? Louis Favreau observe un désengagement de la gouvernance : « On assiste à un affaiblissement de l’État social ; on confie en sous-traitance, à beaucoup d’organismes dits communautaires ou d’économie sociale, des services qui, à une autre époque, auraient carrément fait partie du réseau public et, à ce moment-là, on se retrouve avec des politiques incertaines, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans. »

Il pousse plus loin son analyse : « L’État québécois actuel en est un qui gère, plutôt que d’avoir une vision du développement économique et social du Québec ; l’expérience éolienne le démontre bien et, dans ce cas, on a tout simplement laissé intervenir le secteur privé là-dedans ; pour le gaz de schiste, c’est tout à fait cela, probablement en pire. »

En parallèle, le mouvement syndical écope : « Les syndicats sont attaqués au moment où il y a un impératif de solidarité internationale renouvelé, parce qu’on ne peut plus penser les réponses à la crise dans un contexte uniquement national. » Il y a également une forte délocalisation de l’industrie manufacturière et les économies régionales souffrent de l’installation de géants comme Wal-Mart. Les travailleurs vivent dans la précarité et, sur le plan financier, les bulles spéculatives se multiplient.

Les voies à emprunter pour en sortir

Le sociologue pose le constat que la crise est effectivement loin d’être finie et, questionné sur l’après-crise et les changements à apporter, il y va de ce diagnostic qui laisse voir la nécessité de la recherche d’un meilleur équilibre : « C’est une question fondamentalement de rapport de force. En comparaison avec la situation antérieure du New Deal entre le capitalisme et le mouvement ouvrier, le rapport de force a été inversé ; il y a un affaiblissement des mouvements sociaux et des organismes de réglementation dans nos sociétés ; à cet égard, les États-Unis sont l’exemple par excellence. »

Il repère actuellement deux impératifs dont il importe de tenir compte pour apaiser la tempête : « Il y a d’abord celui d’ordre écologique. Si on regarde Copenhague, c’est l’échec, selon les spécialistes, et Cancún s’en vient en décembre. On risque de perdre le contrôle de ce qui se passe sur la planète et on est rendu dans une zone de dangerosité qui est due aux changements climatiques, même si certains essaient de nous dire autre chose. » Il faut revoir l’échelle de grandeur : « On ne peut plus penser à la solution des problèmes dans un cadre national comme on le faisait auparavant ; la solidarité internationale devient un autre impératif important dans un projet de société alternatif. »

À la suite de quoi, M. Favreau assure qu’il faut sortir du capitalisme : « Ça ne veut pas dire de le renverser, mais de faire occuper le terrain dans le plus grand nombre de secteurs possible par des entreprises collectives ou à contrôle démocratique, par l’entreprise publique et par des organismes de réglementation. » Les quatre pistes de sortie du capitalisme sont les suivantes : la démocratisation de l’économie, le renouvellement de l’État social, le passage au vert et la construction d’un nouveau mouvement citoyen international.

Entrevue de M. Louis Favreau à l’émission Aujourd’hui le monde diffusée à Radio Ville-Marie le 6 octobre

L’entrevue réalisée le 6 octobre dernier traite des points suivants :

a) la crise globale que nous traversons et particulièrement sa dimension écologique ;

b) L’échec de Copenhague et le défi actuel des mouvements sociaux (agricole, coopératif, de travailleurs) à l’échelle internationale pour faire face à cette crise

c) L’action des entreprises dans un tel contexte

d) la Conférence internationale de Lévis, qui y était et ce qui s’en dégage en matière d’alternative globale

e) la solidarité internationale des mouvements sociaux québécois


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