Carnet de Louis Favreau
Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC)

Coopératives, économie sociale et solidarité Nord-Sud : l’expérience du Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ)

mardi 12 février 2013 par Louis Favreau

Le Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) a une expérience relativement inédite dans l’univers québécois de la coopération internationale. Né à l’aube de l’an 2000, son entrée dans la coopération Nord-Sud est relativement tardive mais surtout différente des OCI dont bon nombre ont plutôt émergé dans les années 1970 et 1980. Son entrée sociopolitique dans le « secteur » le distingue : elle n’est pas celle de la défense et la promotion des droits humains ou de l’aide humanitaire. Elle passe plutôt par l’économie solidaire dans la tradition historique instituée par le mouvement coopératif à savoir que le premier fil rouge des initiatives n’est pas la « lutte contre la pauvreté » au sens habituel du soutien, surtout social, aux communautés défavorisées du Sud mais bien, au sens fondamental d’une lutte contre la dépendance économique. La distinction est importante : c’est la matrice du modèle de développement coopératif et mutualiste international depuis ses origines. La portée de cette matrice est majeure parce qu’en offrant aux communautés des dispositifs économiques de nature collective, les coopératives et l’ensemble de l’économie solidaire permettent d’assurer aux communautés le contrôle de leur propre développement, leur permettent de se défaire elles-mêmes de la pauvreté et de lutter sur le terrain économique contre les inégalités. Au plan international, les pilotes politiques des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) comme de toutes les ONG qui ont plongé dans ce vaste programme de l’an 2000 jusqu’en 2015 n’ont pas compris cette coordonnée de lutte contre la pauvreté. Celle-ci a donc été surtout une « lutte contre l’extrême pauvreté » et non une lutte contre les inégalités, inégalités dont un des fondements est très précisément l’insécurité économique. Récit de l’itinéraire sociopolitique d’une organisation qui participe de la reconfiguration de la coopération internationale de proximité par temps difficiles [1].

Le GESQ, une coalition, un carrefour, un forum ?

Le Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) se définit comme une coalition d’organisations québécoises actives dans l’économie sociale et solidaire sur le terrain de la coopération Nord-Sud. En pratique, il a presque toujours été plutôt un forum de promoteurs et de dirigeants d’organisations de représentation des entreprises collectives (le CQCM et le Chantier de l’économie sociale), de dirigeants d’outils financiers comme la Caisse d’économie solidaire Desjardins, de dirigeants d’OCI et de chercheurs plutôt qu’une coalition au sens où des dirigeants engageraient directement leur organisation respective dans une concertation commune sur des enjeux précis et immédiats. Le GESQ est plutôt un espace de dialogue entre mouvements pour débattre d’enjeux de fond liés à la solidarité internationale.

Ceci étant dit, le GESQ a été créé en 1999 d’abord pour réaliser au Québec en 2001 une rencontre internationale qui donnait suite à une première, fondatrice, qui s’était tenue dans un pays du Sud (Lima, Pérou, 1997). L’évènement de 2001 a débouché sur un nouveau rendez-vous à Dakar (Sénégal, 2005) et donné lieu à la création d’un Réseau intercontinental de promotion de l’économie sociale et solidaire (RIPESS). Dans la perspective de respecter un principe qui était cher au GESQ, celui de l’alternance Nord-Sud, le GESQ s’était alors engagé à soutenir le réseau sénégalais responsable de cette 3e rencontre internationale. Ce qui fut fait et a favorisé le succès de cette mobilisation qui a réuni 1 200 responsables d’organisations paysannes, d’ONG, de coopératives, de syndicats et de chercheurs en provenance de 66 pays [2] . C’est depuis les débuts de cette « aventure » que l’axe central de travail du GESQ est de croiser au Québec et ailleurs dans le monde la coopération internationale et l’économie solidaire.

L’économie solidaire au GESQ : la définition partagée
Le sens premier et fondamental attribué à l’économie sociale et solidaire se résume dans la formule utilisée par les coopératives depuis longtemps : s’associer pour entreprendre autrement. Formule construite autour de cinq critères de base : 1) lucrativité maîtrisée (par distinction avec l’entreprise capitaliste qui mise sur le maximum de profit) ; 2) démocratie d’associés (par distinction de l’entreprise capitaliste où dominent de grands actionnaires contrôlant le pouvoir dans l’entreprise) ; 3) logique d’engagement social dans la communauté (par distinction avec une logique de surconsommation individuelle) ; 4) réponse à des besoins dans la recherche d’un « bien vivre » (par distinction avec la création de richesse liée à un « vivre avec toujours plus ») ; 5) ancrage dans les territoires (par distinction avec l’entreprise capitaliste peu soucieuse de sa localisation). Ces traits communs distinguent ces initiatives de celle de l’économie capitaliste de marché. Sur tous ces registres, le capitalisme ne suit pas.

Aujourd’hui, dans la foulée de ses débuts, le GESQ témoigne toujours de ce type d’engagement international. Toutefois les modalités de cet engagement se sont transformées avec le temps : depuis quelques années, il est moins au RIPESS qu’à l’Association des Rencontres du Mont-Blanc (RMB), rencontres organisées par le Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire (FIDESS), organisation qui a émergé comme réseau international à partir de 2004 à l’initiative d’organisations mutuelles et coopératives françaises et québécoises (nommément depuis ses débuts, la Caisse d’économie solidaire Desjardins et Fondaction). Selon les thèmes proposés un certain nombre de groupes coopératifs tels DID et SOCODEVI, le CQCM, Desjardins ou la coopérative Fédérée se sont joints à ces rencontres internationales. Le GESQ a également été partie prenante de plusieurs rencontres du Forum social mondial (Porto Alegre 2005 et Dakar 2011 entre autres) et engagé avec les organisations membres des RMB dans la mobilisation de Rio+20 en 2012 au Brésil (cahier spécial du Devoir, 20 et 21 juin 2012).

Le GESQ en un coup d’oeil

Aujourd’hui le GESQ réunit des dirigeants du mouvement coopératif (Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, SOCODEVI et Développement international Desjardins) ; du mouvement des producteurs agricoles, l’UPA-DI ; de l’AQOCI ; de la CSN ; de réseaux institutionnels (Services de coopération et de développement international de collèges) et de groupes de recherche rattachés à des universités (CRDC à l’Université du Québec en Outaouais, LAREPPS à l’UQAM). Plus récemment, des réseaux régionaux se sont constitués (Outaouais, Saguenay, Estrie). Au plan financier, le GESQ est soutenu par ses membres et par des financements institutionnels (universités et collèges, appuis ponctuels de différents paliers de gouvernement). Le GESQ a peu de ressources mais son indépendance et son noyau de militants lui donne une liberté de parole et d’action que bon nombre d’organisations dans cette mouvance n’ont pas, ce qui amène plusieurs des organisations membres à dire que le GESQ « leur fournit de l’oxigène » : des nouvelles pistes de réflexion dans le cadre de ses universités d’été ; de nouveaux contacts internationaux venus surtout du Sud ; une production importante de recherche ; des conférences internationales comme celles organisées à l’UQO en 2003 et 2008.

Un carrefour de débats et la naissance de courants...et de rivalités

Contrairement à l’idée reçue que certaines organisations cherchent à répandre, l’économie sociale et solidaire n’est pas homogène et n’est pas regroupée au sein d’un seul réseau. Elle est traversée par divers courants (de gauche, de centre, de droite) et de différentes sensibilités. Elles collaborent mais rivalisent aussi tant dans la réflexion menée sur les enjeux que sur les stratégies de développement d’une économie alternative à l’économie capitaliste de marché. Les finalités vertueuses de la solidarité internationale comme de l’économie solidaire, souvent avancées de façon un peu naïve, ne sont certainement pas suffisantes.

Pour sa part, au fil de plus d’une décennie (1999-2013), le GESQ a dû débattre avec les uns ou les autres sur un certain nombre de questions parfois litigieuses :

  1. La culture organisationnelle qui mise de façon principale sur le financement public dans les activités entreprises. Au GESQ, cette dépendance a été et est considérée comme faisant problème.
  2. Le peu de réciprocité réelle de certaines organisations dans les partenariats internationaux a souvent indisposé le GESQ. Des conditionnalités implicites figuraient dans les agendas.
  3. Un désaccord sur le fait de miser surtout sur des « best practices » dites innovatrices mais sans en faire l’examen critique, sans les situer dans les rapports de force présents au sein des différents secteurs économiques habités par ces entreprises collectives (agriculture, finance, consommation, habitat, santé...) et sans tenir compte des organisations de représentation politique déjà existantes.
  4. Le désaccord sur le fait de prioriser les « relations internationales » (en vue de l’obtention d’une reconnaissance de la part d’institutions internationales ou de dispositifs comme des fondations) au détriment d’un travail de coopération Nord-Sud inscrit dans la durée et structurant pour des communautés et des mouvements.
  5. S’en tenir au lobby auprès d’instances internationales pour l’obtention de financements publics négligeant du coup la conquête de l’espace public avec d’autres mouvements c’est-à-dire une parole publique s’exprimant sur des sujets d’intérêt général.
  6. Le refus de favoriser une représentation partagée sur la scène internationale.
  7. Ne pas accréditer sérieusement l’économie populaire solidaire (« lui donner sa chance » comme le disait Michel Rocard aux RMB de 2011) et la distinction au Sud de ce type d’économie par rapport à ce qui se passe au Nord.
  8. Ne pas oser traiter des questions liées aux régimes politiques autoritaires, au délitement de l’État dans nombre de pays du Sud et au rôle actif des religions, notamment des fondamentalismes.
  9. Le peu d’effort d’analyse de la crise en cours depuis 2007-2008 et de ses coordonnées nouvelles (crise alimentaire, crise énergétique, crise climatique), crise issue des politiques néolibérales et de la montée en puissance de multinationales de la finance, de l’agroalimentaire, du pétrole, du gaz et des mines, ce qui a ralenti sinon compromis la trajectoire positive (coordination internationale des efforts, etc.) de nombreuses initiatives publiques comme les OMD ou de la société civile en matière de solidarité internationale.

Sur toutes ces questions, de façon plus ou moins explicite (débats parfois ouverts, débats de coulisses aussi), à un moment ou l’autre depuis le début de l’an 2000, une zone de tension entre organisations au sein du GESQ est finalement devenue quasi insurmontable au tournant de cette première décennie (2008-2009). On ne pouvait plus, à tout le moins officiellement, parler d’une seule voix sur plusieurs dossiers en matière de solidarité internationale. Une proposition faite par le Chantier de l’économie sociale de dissoudre le Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) à l’automne 2009 a été le déclencheur d’une séparation. Une grossière erreur politique qui voulait conférer au seul Chantier la représentation politique internationale de l’économie sociale québécoise [3] .

Quoiqu’il en soit de cet épisode de rupture (type d’épisode que l’on peut retrouver dans d’autres mouvements), le GESQ n’a pas été ralenti mais plutôt relancé dans ses activités notamment grâce au soutien du CQCM, de DID, de SOCODEVI, de UPA-DI et de la Caisse d’économie solidaire Desjardins. Elles ont rédémarré en maintenant la conviction de la nécessité d’établir des passerelles entre organisations d’ici (coopératives, syndicales, de coopération internationale, chercheurs...) qui, malgré leurs différences de vision, de stratégie et de culture organisationnelle, ont un intérêt politique à dépasser le travail en silos et à faire mouvement : par exemple des liens entre différentes organisations du mouvement coopératif et du mouvement des producteurs agricoles ou encore entre OCI, dirigeants de mouvements et chercheurs.

Les Universités d’été comme point d’ancrage

Université été GESQ 2010

Pour établir ces passerelles, le GESQ tient évidemment des assises annuelles (un forum dans le cadre de son assemblée générale) mais son activité la plus importante se manifeste dans l’organisation depuis 2005 d’universités d’été sur des enjeux de portée stratégique pour la coopération internationale également adossée à des projets de développement d’initiatives économiques solidaires au Sud et à des échanges réciproques. Les dernières ont porté sur le développement des territoires au Nord et au Sud (2008) ; la souveraineté alimentaire (2010) ; la transition écologique de l’économie (2012) et bientôt sur la nécessité, pour nourrir la planète, de changer de modèle pour transformer l’agroalimentaire (mai 2013). Ces occasions permettent de renforcer la mise en réseau des organisations québécoises qui ont chacune leur propre action internationale, mais qui veulent également développer des collaborations plus structurantes en direction du Sud, pour la promotion d’un tissu économique collectif dans les communautés et l’avancement de ce type d’économie dans les institutions internationales et auprès des pouvoirs publics. Ces universités d’été sont en fin de compte un moment privilégié et une espace de liberté pour mettre en débat des enjeux centraux pour faire avancer une économie autre que celle de l’économie capitaliste de marché (Favreau et Molina, 2011 ; Favreau et Hébert, 2012).

De façon plus spécifique, mentionnons qu’au bilan, la première université d’été, tenue à l’UQAM en 2005, a porté sur l’internationalisation de l’économie solidaire ; la seconde en 2006, toujours à l’UQAM, a porté sur les échanges d’expertise au plan international ; la 3e, à l’Université Laval, a eu pour thème les innovations de la société civile en matière de solidarité internationale. La première Université d’été avait alors permis de refaire les ponts entre l’AQOCI et le GESQ et préparé la délégation québécoise à son séjour en Afrique (Dakar, Sénégal) pour la 3e rencontre internationale du réseau intercontinental en train de se constituer ; la 4e au Saguenay en 2008 a permis d’inscrire le GESQ dans la solidarité internationale de régions ; la 5e en Estrie de confirmer le développement de l’ancrage régional du GESQ sans compter sa première plongée dans l’univers de l’agriculture et de l’agroalimentaire (2010).

La 6e édition en 2012 a consacré son rapprochement avec les outils financiers de la CSN (Caisse d’économie Desjardins et Fondaction) autour de l’enjeu d’un développement alternatif au modèle économique dominant. Cela ouvrait également la porte à une convergence réelle avec le mouvement coopératif qui venait de tenir une grande conférence internationale à Lévis sur son projet de société (automne 2010). L’accréditation des liens du mouvement coopératif (le CQCM et quelques fédérations) avec les outils financiers de la CSN d’une part et les liens du GESQ avec l’Association des Rencontres du Mont-Blanc d’autre part, se sont poursuivis avec la 5e édition des RMB de novembre 2011, ce qui avait fait son chemin lors d’une rencontre internationale au Centre Saint-Pierre à Montréal sur le thème Vers Rio 2012. La planète sera solidaire ou ne sera plus (cahier spécial du Devoir des 14 et 15 octobre 2011).

L’inédit des dernières années : le virage écologique et l’ouverture à une action politique plus consistante

Le GESQ est de plus en plus associé à l’AQOCI dans les dossiers d’économie solidaire (entre autres des activités de formation), mais aussi dans celui de contrer la position du gouvernement Harper qui annule sciemment et systématiquement la place qu’occupait et qu’occupe la société civile au Québec et au Canada dans leurs engagements internationaux respectifs. De façon plus globale, le GESQ ambitionne que cette mouvance des entreprises collectives se donne une action politique propre, qu’elle se développe au grand jour autour d’une plate-forme commune susceptible d’être portée aussi bien à l’échelle québécoise qu’à l’échelle internationale. D’où le projet des 5/20 conjointement avec la Caisse d’économie Desjardins et Fondaction en 2011 : cinq chantiers prioritaires et 20 propositions pour une économie plus démocratique, plus écologique et plus équitable [4].

De façon plus spécifique, il soutient également et fermement l’idée d’une Agence québécoise de développement international (AQDI) avancée par Louise Beaudoin en 2012, reprise par l’AQOCI et présente dans le programme du Parti Québécois et de Québec Solidaire. Le récent comité conjoint de l’AQOCI et du MRI qui doit soumettre un rapport fin 2013 sur le rapatriement de l’aide internationale au Québec pourrait vraisemblablement faire progresser le projet.

Toujours dans cette perspective, la thématique qui marque un tournant et rapproche depuis peu le GESQ des groupes écologistes a trait à la transition écologique de l’économie. La dernière Université d’été menée en collaboration avec la Caisse d’économie solidaire Desjardins en 2012 illustre bien le propos :

La nécessaire transition écologique de l’économie (Joliette, avril 2012)
La crise actuelle est une crise du modèle dominant de développement. Cette crise n’est ni accidentelle, ni temporaire. Elle est globale, c’est-à-dire tout à la fois et à la même hauteur, économique, sociale et écologique. Elle est aussi plus que jamais internationale par l’interdépendance accrue de la nouvelle phase de la mondialisation. Bref la planète n’y arrivera pas si on ne change pas de modèle !

Le 21e siècle sera celui d’une révolution écologique adossée à l’égalité sociale et à la transformation des dispositifs et formes de la démocratie de nos sociétés. Nous avons alors pointé les grands enjeux de la période actuelle que sont : a) la crise de l’agriculture et de l’alimentation ; b) la crise de l’énergie et du climat ; c) l’affaiblissement de l’État social ; d) la faible diversité de l’économie et le fait que la finance soit aux postes de commande de cette économie ; e) une mondialisation néolibérale qui accentue les dépendances et les interdépendances.

Dans la lignée de Rio 2012, l’économie sociale et solidaire doit se mobiliser pour cette nécessaire transition écologique au plan économique comme au plan politique. Le fil rouge commun : développer, par delà une vision environnementaliste, une vision politique de l’écologie.

Et le virage est venu de là où on ne l’attendait pas. C’est le mouvement coopératif qui a commencé le premier à donner l’exemple : des coopératives agricoles comme Nutrinor, des coopératives forestières (avec la biomasse de seconde génération), des coopératives d’énergies renouvelables (comme celle de Valéo dans l’éolien au Saguenay), la Caisse d’économie solidaire Desjardins avec sa politique de prêts incitative en matière d’efficacité énergétique, avec Fondaction et sa politique de développement durable, etc... (cahier spécial du Devoir des 21 et 22 avril 2012).

Le GESQ intéressé par le développement d’outils financiers pour la solidarité internationale

Le GESQ n’est pas étranger à la naissance d’un fonds de dotation, le Fonds Solidarité Sud. Le Fonds Solidarité Sud est un dispositif financier de moyen terme plus que jamais pertinent dans le contexte actuel de forte crise du financement public de la coopération internationale de proximité. Ce type d’outil financier est indispensable pour assurer plus d’indépendance d’action aux OCI et un travail avec des partenaires du Sud qui soit plus solidement inscrit dans la durée.

Quelle est l’origine de ce Fonds ? Il est né à l’initiative de personnes déjà engagées dans la coopération internationale, entre autre, dans la mouvance de l’action internationale du GESQ. Cette mouvance a perçu plus rapidement que d’autres la fragilité économique des OCI à savoir la concurrence plus grande avec des OCI confessionnelles comme Vision mondiale observable tant au Québec que dans plusieurs pays du Sud de même que la fragilité politique de la coopération de proximité des OCI du Québec c’est-à-dire sa faible marge de manoeuvre par rapport au principal bailleur de fonds de l’aide internationale qu’est l’ACDI. En provenance de différentes régions du Québec, le Fonds Solidarité Sud naît fin 2007. Ce réseau de personnes en provenance du monde syndical, du monde coopératif, du monde agricole, du monde de l’enseignement, du monde culturel et du monde de la coopération internationale met de l’avant une nouvelle forme de financement de la solidarité internationale : un fonds de dotation.

En fait, dit le site de l’organisation « les fonds de dotation ont des finalités sociales qui varient : philanthropie, aide humanitaire, coopération technique ou solidarité internationale ». Or pour le Fonds Solidarité Sud, c’est la solidarité internationale dans une perspective de justice économique, sociale et écologique, tant à l’échelle locale qu’à celui de la planète qui prévaut. C’est ce qui anime cette organisation et en priorité la solidarité internationale entre communautés et mouvements sociaux du Nord et du Sud, ce qui le met en phase avec le GESQ dont certains de ses animateurs sont aussi des artisans du Fonds [5].

Un temps associé à une organisation de coopération internationale (Développement et Paix), le Fonds Solidarité Sud est devenu autonome et s’est incorporé en 2010. Il est également un organisme « de bienfaisance » au sens de la loi fédérale depuis 2012. Son objectif premier : le renforcement économique et social de communautés au Sud dans une perspective de solidarité Nord-Sud qui se démarque de la coopération technique (l’envoi de coopérants) et du secours d’urgence (l’aide humanitaire).

Grâce aux contributions financières qu’il reçoit, les intérêts générés par ce fonds permettent d’appuyer des projets de partenaires dans les pays du Sud. Le Fonds Solidarité Sud (FSS) est un fonds dédié qui a un programme de dons planifiées (dons par police d’assurance-vie ; legs testamentaire ; dons d’actions ou d’obligations, dons mensuels, etc.). Il dispose présentement d’un capital différé d’une valeur d’un million $ et des liquidités suffisantes pour avoir démarré un travail de soutien en 2013 et 2014 avec une jeune coopérative forestière au Honduras (en collaboration avec SOCODEVI) et avec une organisation paysanne sénégalaise (en collaboration avec UPA-DI).

Être plus près des mouvements sociaux sans déconsidérer la reconnaissance par les pouvoirs publics

Pour le GESQ, les coopératives et toute autre forme d’activités économiques solidaires ne sont pas là pour remplacer ce que Ricardo Petrella nomme si justement l’« économie capitaliste de marché » (Petrella, 2007 : 127-128). Ce n’est pas leur rôle dans le concert des mouvements. Elles peuvent cependant offrir une alternative et endiguer l’influence du modèle économique dominant dans plusieurs secteurs, comme on le voit depuis longtemps, au Nord comme au Sud, en finance et dans l’agriculture. Elles sont non capitalistes dans leurs valeurs comme dans leur structures même si elles ne sont pas toujours conscientes de la signification réelle que cela comporte.

En occupant 10 % du marché de l’emploi, 10 % de la finance et 10 % du PIB dans un très grand nombre de pays de la planète (et parfois plus, comme c’est le cas des pays scandinaves), ce type d’initiatives peut potentiellement modifier sérieusement le modèle économique dominant. Ce qui ne remplace absolument pas le rôle de partis politiques progressistes. Le changement social, historiquement est passé par le syndicalisme, le mouvement coopératif et des partis politiques de gauche. Le contexte, les formes de mobilisation et la composition sociale des mouvements et des partis aujourd’hui ont changé mais la trame de fond est sensiblement la même. Sauf sur deux choses aujourd’hui et dans l’avenir : les enjeux sont plus internationaux (mondialisation oblige !) et plus environnementaux (urgence écologique oblige !).

À partir de ce seuil (les 10% pour l’emploi-10% de la finance-10% du PIB), elles représentent un important levier économique pour qu’une communauté, une région ou un pays puisse faire du développement durable et solidaire sa priorité. On évite ainsi l’épuisement des ressources et l’exode des régions. Ces initiatives ne vivent pas sans faire de profits, mais sa lucrativité est limitée et marquée par des préoccupations de bien commun, tant dans sa structure que dans ses valeurs. Ces initiatives ne se délocalisent pas ou peu et participent au développement d’une économie des territoires qui favorise la création et la distribution de la richesse.

Sibille (2011)

Mais il leur faut faire mouvement afin que leur représentation politique soit à la hauteur de leur poids économique. Le GESQ partage fortement cette conviction enfin portée par une partie du mouvement coopératif depuis la Conférence internationale inspirante de Lévis en 2010, celle des Rendez-vous solidaire de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, celle des Rencontres du Mont-Blanc de 2011 et celle du Sommet international Desjardins/ACI de 2012. Des coopératives et autres entreprises collectives affirment aujourd’hui plus explicitement leur commun accord à l’effet qu’elles font partie des solutions durables et démocratiques à la crise actuelle qui, à la différence de la crise des années 1930, est tout à la fois économique et écologique. Mais une réponse qui serait uniquement sur le terrain économique, même engagée dans un développement durable, ne suffira pas. Elle doit être adossée à une action politique pour influencer pouvoirs publics et institutions internationales.

Le défi est de taille. D’une part, la faible reconnaissance politique de ses initiatives découle de la pression exercée sur les pouvoirs publics et les institutions internationales par la pensée capitaliste où domine le « tout au marché » et par les lobbies des multinationales. D’autre part, il y a encore au sein même de ce mouvement une faible capacité à prendre une parole collective et offensive, à devenir une force politique qui lui fait cruellement défaut, comme le dit si bien Hugues Sibille, vice-président du Crédit coopératif français (Sibille, 2011 : 117). Bref conquérir l’espace public puisque c’est bien de cela qu’il s’agit lorsque nous parlons de l’action politique des mouvements sociaux en termes autres que de lobbyisme ou d’action politique partisane. Le GESQ participe de ce renouvellement en cours par sa posture de carrefour indépendant mais disponible aux différentes sensibilités présentes au sein de toute cette mouvance. Dossier est à suivre.

Pour en savoir plus

Économie solidaire, crise écologique et développement durable

  • Favreau, L. et M. Hébert (2012), La transition écologique de l’économie. La contribution des coopératives et de l’économie solidaire. PUQ, Sainte-Foy.
  • Larose, G. (2012), « Coopératives : la transition écologique s’impose ! » Dans Bourque, G., L. Favreau et E. Molina (2012), Le capitalisme en crise, quelle réponse des coopératives ? Dans la revue Vie économique, vol.3, numéro 4, Éditions Vie économique, Montréal.
  • Le Devoir (2011), Vers Rio 2012. La planète sera solidaire ou ne sera plus. Cahier spécial du journal Le Devoir, 15 et 16 octobre. Disponible sur le site du GESQ
  • Le Devoir (2012), Vers Rio 2012. Économie et environnement. Cahier spécial du journal Le Devoir, 21 et 22 avril. Disponible sur le site du GESQ
  • Le Devoir (2012), Sommet de la Terre, Rio+20. Cahier spécial du journal Le Devoir, le 20 et 21 juin. Disponible sur le site du GESQ
  • Le Devoir (2010), Crise alimentaire - la souveraineté alimentaire est une réponse à la crise actuelle (Réginald Harvey). Dans Le Devoir, 30 octobre 2010.

Coopératives, syndicats, économie solidaire et crise du capitalisme

Économie solidaire et coopération internationale

Action politique et économie solidaire

[1Le présent texte est un texte d’auteur. C’est à titre personnel que je l’écris. Il n’a pas été revu ni même présenté au GESQ. Je me tiens donc comme unique responsable des propos tenus.

[2Pour lire la Déclaration de Dakar, Renforcer le pouvoir d’agir des peuples, voir Favreau et Fall (2007), p. 379 à 383.

[3Comme je l’ai dit ailleurs, des identités fortes sont nécessaires à toute action collective : a) les coopératives ont une identité qui s’appuie sur 70 ans d’organisation comme mouvement ; b) les organisations communautaires fondent leur identité sur plus d’une quarantaine d’années ; c) les entreprises dites « d’économie sociale » existent depuis une dizaine d’années mais le Chantier a toujours prétendu englober tout ce monde. La représentation internationale de l’économie sociale québécoise s’est butée au GESQ sur ce conflit d’identité. Le Chantier a dû quitter, les organisations membres ayant en majorité refuser cette proposition de dissolution.

[4Lesquels chantiers se déplient comme suit : a) démocratiser l’économie et favoriser sa territorialisation ; b) affronter la crise de l’énergie et le réchauffement climatique ; c) développer une agriculture écologiquement intensive, des filières alimentaires équitables et un aménagement intégré des forêts ; d) favoriser de nouveaux choix sociaux pour l’État ; e) affronter la nouvelle phase de la mondialisation.

[5Le GESQ et le Fonds sont des organisations indépendantes l’une de l’autre. Mais il n’est pas interdit de penser qu’ils peuvent faire cause commune sur des projets concrets de soutien à des communautés ou mouvements au Sud dans l’avenir.


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