Carnet de Louis Favreau
Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC)
Texte paru dans la revue Développement social du printemps 2009

La mondialisation ne marque pas la fin des territoires

lundi 9 février 2009 par Louis Favreau

Avec le début du millénaire, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la mondialisation : d’abord, sur le plan politique, les années 1990 ont marqué la réouverture d’une question fondamentale : quel rôle attribué à l’ONU et à ses institutions politiques multilatérales (PNUD, UNESCO, OMS, OIT…) ? Ensuite, au plan économique, elles ont été marquées par la montée en puissance d’une finance internationale qui pilote désormais l’économie à l’échelle de la planète. Puis au plan culturel, une révolution technologique avec l’arrivée d’Internet qui se déploie aujourd’hui avec près d’un milliard d’abonnés et plus de 75 millions de sites. Bref, un tournant majeur de société de ce nouveau millénaire : le saut qualitatif et la simultanéité du nouveau souffle de la mondialisation sur ces trois registres.

Mais, contrairement à l’opinion courante, la mondialisation n’est pas un ensemble unique de processus. À côté, et même souvent contre la mondialisation néolibérale, se déploie, comme on le verra, un ensemble d’initiatives qui, sans constituer encore une force socioéconomique et sociopolitique à l’échelle mondiale, ont commencé à dépasser le stade des démarches exclusivement locales pour s’inscrire dans une mondialisation qui se veut démocratique et équitable.

Itinéraire du développement des communautés locales des années 60 à nos jours

Au cours de la décennie 60-70, le développement local, au Québec comme à l’échelle internationale, n’était pas très important tant du point de vue économique que social. La notion de « développement » renvoyait alors au « national » alors que le « local » restait perçu comme traditionnel (et donc plutôt comme un obstacle au développement). Le renforcement national des États se fit donc en grande partie aux dépens du « local ». On assiste plutôt à l’implantation de la grande entreprise privée ou publique, au déploiement de grands services publics nationalisées et à l’avènement de pôles de croissance sur les territoires par la constitution de capitales régionales. Dans cette mouvance, la démarche de « développement social » liée à la production des services de proximité, notamment dans le domaine de l’éducation et de la santé, et celle du « développement économique local » (soutien aux entreprises locales) étaient séparées l’une de l’autre et plutôt considérées comme marginales.

L’approche du développement local telle qu’elle apparaît avec les années 1980-90 diffère dans son contenu, ses dispositifs et ses acteurs : elle émane surtout de la « société civile » et de communautés locales qui contestent l’approche alors dominante du haut vers le bas. Elle remet en question les programmes publics mur à mur et l’absence de démocratisation d’un État marqué par la centralisation et la bureaucratisation de ses services. La proposition nouvelle est celle du développement par le bas, par la mobilisation des ressources individuelles et collectives des communautés. Si cette approche alternative donne lieu à des initiatives innovatrices tant en milieu rural qu’urbain, avec la généralisation de la crise de l’emploi à la grandeur des territoires, les acteurs locaux et leurs réseaux nationaux militeront de plus en plus en faveur d’un développement économique et social local concerté et généralisé.

Pendant plus d’une décennie (1990-2000), cette dernière approche de développement local concerté fera florès et sera de plus en plus reconnue par des États. Il donnera lieu à un virage vers de nouvelles politiques de décentralisation au sein des grandes institutions internationales de l’ONU. Avec cependant des orientations différentes selon qu’il s’agit de l’OIT, du PNUD et de l’OMS d’un côté ou de la Banque mondiale et du FMI de l’autre. Les contestataires de la génération antérieure, surtout des ONG, sont en quelque sorte reconnus, invités à siéger à des tables de concertation, conviés à se professionnaliser et obtenant graduellement un peu plus d’influence sur les politiques à mettre en œuvre.

Les réponses combinées de l’acteur public, de l’acteur privé et de l’acteur associatif (coopératives, syndicats, groupes de femmes, organisations communautaires de base, ONG…), pour faire face aux nouveaux défis des communautés, a donc constitué une stratégie relativement importante de création de richesses en contexte de précarité tant au Québec qu’au plan international.

Plusieurs travaux de recherche en sciences sociales ont alors émergé pour invalider la thèse traditionnelle du développement économique et social sensé dépendre quasi-exclusivement, soit des politiques macro-économiques de l’État, soit de l’internationalisation dérégulée des marchés. Entre ces deux registres de développement du « tout à l’État » ou du « tout au marché », s’est imposé progressivement un autre registre, celui du développement solidaire et durable des territoires, dans un contexte où le « social », l’« environnemental » et l’« économique » sont de moins en moins séparés comme c’était le cas de la période antérieure, celle de la période « développementiste ».

Développement des territoires : la face cachée de la mondialisation

Mondialisation néolibérale oblige, les retournements de conjoncture au plan international avec ses zones et ses périodes d’incertitudes, ont appelé la logique territoriale : stratégie de mise en réseau des entreprises, plus grande place aux gouvernements locaux, approche associative et coopérative de développement local….L’action conjuguée de plusieurs acteurs locaux (municipalités, associations, ONG, coopératives et PME locales) caractérise ainsi une nouvelle tendance sur tous les continents au Sud comme au Nord. La société fragmentée par la crise paraît aujourd’hui plus qu’hier se reconstruire par le bas, à partir des communautés locales et des régions :

Dans cet univers déboussolé, l’économie-territoire apparaît comme une alternative de développement plus contrôlable que l’économie-monde. C’est sur le terrain local que les mutations sont les moins difficiles à maîtriser et les partenariats les plus faciles à susciter (Dommergues, 1988 : 26)...

Le développement local : une alternative ? Pas forcément !

Bref, l’approche du développement local, çà peut marcher partout. Est-ce une alternative à la mondialisation néolibérale ? Pas forcément ! Oui dès lors que les multinationales ou les États nationaux ne contrôlent pas tout au plan local et régional. Non car certaines expériences s’enlisent ou échouent ou ne décollent pas. Puis, après un certain nombre d’années de partenariats divers, comme ce fut le cas au Québec, une certaine usure s’installe : perte d’autonomie de certains groupes, hyperconcertation, professionnalisation trop grande des organisations qui occupent tout l’espace, lutte des places pour leur reconnaissance dans les dispositifs initiés par les pouvoirs publics…Donc ce n’est pas nécessairement alternatif ! Mais on ne peut pas non plus s’en passer si on veut faire progresser une certaine justice économique et sociale.

Feu le « développement régional » !

Le développement des territoires repose sur les réponses que les mouvements et les institutions locales fournissent aux trois enjeux suivants : 1) comment affronter la dépendance économique vis-à-vis de l’extérieur ? 2) sur quoi bâtir notre « vivre ensemble » ? 3) comment faire face au défi de la dualisation sociale de l’espace (urbain/rural ; centre-ville/banlieues) ? Ces trois questions ne peuvent en outre trouver réponse concurremment ou séparément car, aujourd’hui, encore plus qu’hier, elles doivent s’emboîter les unes dans les autres. Les réponses d’une communauté ou d’une région à l’autre varient d’ailleurs énormément.

Cela étant dit, la notion de « développement territorial » est devenue plus pertinente parce que les communautés locales et régions ne sont pas définies de façon unidimensionelle : elles sont tout à la fois des leviers de développement (par la mise en valeur des ressources locales) mais pas seulement ; des lieux d’ancrage et d’identité (le « vivre ensemble ») de même que les premiers viviers d’exercice de la démocratie de proximité (la citoyenneté active), cette dernière dimension étant souvent négligée. Donc feu le « développement régional », notion issue des dispositifs politico-administratifs des gouvernements centraux. Le « développement régional » fait partie du « développement des territoires » mais ne lui est pas exclusif, les territoires pouvant être de taille relativement variable et surtout ne pas recouvrir la dynamique sociale des découpages administratifs issus des politiques publiques.

Face à l’offensive néolibérale, il existe donc une perspective de travail mise en oeuvre par de nouveaux acteurs et de nouveaux dispositifs, des réseaux internationaux de développement local, de commerce équitable, d’agriculteurs au service de la communauté…dont le défi est de multiplier les échelles d’intervention (du local à l’international). Ceux qui sont engagés dans des actions locales de longue durée doivent aujourd’hui plus qu’hier se projeter à l’échelle de la planète.

Pour en savoir plus :

Un ouvrage : Fall, A.-S., Favreau L. et G. Larose, Le Sud et le Nord dans la mondialisation, quelles alternatives ?, PUQ, Sainte-Foy.


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