
L’économie sociale : oui mais quelle économie sociale ?
Débattre d’économie sociale ! Plus que jamais sur cette question, il faut se garder d’une pensée ou d’un modèle unique de référence comme on le fait encore souvent dans certains milieux et réseaux de recherche québécois. Impossible tant sont divers les parcours, les modalités d’action, les itinéraires... Le Québec, la France, l’Italie en sont de bons exemples sans parler des pays du Sud. Une occasion s’est présentée tout récemment. En effet, dans la revue Nouveaux cahiers du socialisme (revue évoluant dans la mouvance de Québec solidaire et du Forum social québécois), Jean-Marc Piotte lançait cet automne un débat politique sur l’économie sociale en se servant comme point de départ mon ouvrage de 2008 dont l’intitulé est Entreprises collectives. Les enjeux sociopolitiques et territoriaux de la coopération et de l’économie sociale. (PUQ, Québec, 332 pages). La revue a eu l’amabilité de me relancer considérant que j’avais un droit de réplique à la même hauteur en m’accordant le même espace. C’est avec plaisir que j’ai accepté. Titre de l’article : Débat sur l’économie sociale. Débat, donc, entre deux intellectuels, professeurs en sciences sociales dans des universités (UQAM, UQO), engagés socialement et politiquement à gauche depuis plusieurs décennies : Jean-Marc Piotte, professeur émérite de l’UQAM (sciences politiques) et Louis Favreau, sociologue et professeur à l’UQO. Deux sensibilités de gauche assez différentes qui ne se côtoient pas beaucoup. Pour cette seule raison, cela mérite déjà le détour. C’est aussi parce que cela peut être instructif pour s’emparer de cette question en faisant tomber quelques tabous ! Jean-Marc Piotte ouvre également la porte, à la fin de son texte, à un examen du « Chantier vers une nouvelle social-démocratie », question sur laquelle nous reviendrons dans notre billet de novembre. Nous reproduisons ici l’intégral de ce qui est paru dan le numéro de cette revue disponible en librairie depuis le début octobre (automne 2010, numéro 4).
Commentaire de Jean-Marc Piotte sur l’ouvrage
Louis Favreau, un des principaux théoriciens et propagandistes de l’économie sociale, est un des (rares) intellectuels capables de reconnaître publiquement ses erreurs lorsque les faits viennent contredire les propositions avancées. Ainsi, dans ce livre, il met en doute les vertus de l’économie sociale, réflexion qu’il poursuit depuis lors dans son blogue.
Les diverses entreprises collectives
Les entreprises collectives viseraient la satisfaction de besoins sociaux, l’identification à des collectivités locales et le projet d’un monde plus démocratique et plus équitable. Favreau distingue trois familles au sein de ces entreprises : les coopératives et les mutualités (l’économie coopérative) ; les entreprises d’économie sociale proprement dites (l’économie associative) ; les fonds syndicaux de solidarité.
Les premières existent depuis près d’un siècle, ont continué à se développer, y compris durant la dernière décennie, et reposent sur des assemblées délibératives bâties sur le principe d’un membre, un vote. Les Fonds de solidarité ont été créés, avec l’appui financier des États québécois et canadien, par la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), imitée par la suite par la Confédération des syndicats nationaux (CSN), en vue de favoriser le développement économique et social du Québec. Même s’ils peuvent financer des entreprises collectives, ces fonds se spécialisent quasi exclusivement dans la capitalisation des PME. J’ajouterais que ces fonds sont des similis holdings syndicaux, représentés dans les CA des établissements où ils investissent par des sous-traitants en gestion qui n’ont aucun compte à rendre aux éventuels syndicats locaux de ces établissements. De plus, les entreprises d’économie sociale et l’expression même d’économie sociale sont apparues dans l’espace public lors du Sommet de 1996 qui réunissait des membres du gouvernement péquiste du tandem Bouchard-Landry, des dirigeants des trois centrales syndicales et des représentants d’autres associations civiles.
Louis Favreau reproche essentiellement deux choses au Chantier de l’économie sociale : une volonté hégémonique outrancière ; un fonctionnement bureaucratique, corporatiste et antidémocratique.
Une volonté hégémonique rejetée
Le Chantier s’est posé comme représentant de l’ensemble des entreprises collectives (associatives, coopératives, mutuelles et fonds syndicaux), même si celles-ci existaient avant l’apparition du Chantier, même si les coopératives avaient leurs propres représentants dans le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) et même si les coopératives et les Fonds ne se reconnaissaient pas dans le Chantier. Favreau aurait pu préciser que les milliards de dollars contrôlés par les coopératives, les mutuelles et les fonds de solidarité sont sans commune mesure avec les millions produits par l’économie sociale. De plus, les coopératives et les mutuelles, engendrées d’en bas par des citoyens, et les fonds de solidarité, bâtis par les dirigeants de deux des centrales syndicales appuyées par les deux États, se démarquent de l’économie sociale créée d’en haut par le gouvernement péquiste. Cette différence déterminante se répercute sur le financement : la majeure partie du financement du CQCM et des fonds de solidarité provient des associations ou des membres, tandis que celui du Chantier relève presqu’exclusivement de l’État. J’en conclus que le Chantier, par sa volonté hégémonique, voulait cacher sa naissance tardive et son géniteur étatique, en s’abritant derrière l’ancienneté et la richesse économique et sociale des coopératives, des mutuelles et des fonds syndicaux.
Louis Favreau ajoute que d’autres organisations refusaient l’identification à l’économie sociale, dont celles de défense des droits ou besoins sociaux qui souhaitent, dans une démarche sociopolitique, mobiliser des citoyens pour créer des contre-pouvoirs démocratiques favorables à la justice sociale. Les organisations communautaires de service, présentes particulièrement dans le secteur de la santé, repoussaient également cet encadrement, même si elles étaient elles aussi financées par l’État, en affirmant que leur mission sociale au service des communautés locales se distinguait de la mission plutôt économique du Chantier.
Enfin, l’auteur indique les réticences des syndicats des secteurs public et parapublic, sans les expliquer. Pourtant, l’explication est simple. Lors du sommet de 1996, cette dernière grand-messe péquiste et nationaliste, les dirigeants syndicaux acceptent le déficit zéro, tel que défini par le tandem Bouchard-Landry (au déficit des opérations courantes, il ajoute le coût des immobilisations, ce dont s’était abstenu le gouvernement précédent animé par Parizeau-Campeau), en échange de pas grand-chose : une conférence à venir sur la fiscalité et l’emploi. Dans le comité devant préparer les propositions fiscales de celle-ci, les délégués de la CSN et de la CEQ, qui promouvaient l’adoption d’une politique fiscale plus progressive et progressiste, sont minorisés et bâillonnés par les représentants patronaux et gouvernementaux, appuyés par celui de la FTQ emprunté au Fonds de solidarité. Sur le deuxième sujet, la création d’emploi, le gouvernement accepte de verser 252 M $ sur trois ans, dont 172 M $ proviennent de programmes réguliers, au Comité de l’économie sociale qui deviendra le Chantier. Pour les employés des secteurs public et parapublic, l’appui à l’économie sociale ne sert qu’à justifier la détérioration de leurs conditions de travail et de rémunération. Ils se sentent, et les partisans de l’économie sociale devraient le comprendre, les dindons de la farce.
Le fonctionnement bureaucratique, corporatiste et autoritaire du Chantier
Le Chantier de l’économie sociale serait l’héritier de la tradition organisationnelle des groupes communautaires qui ont un statut d’organisme sans but lucratif (OSBL) et, surtout, des Corporations de développement économique communautaire (CDEC) dans lesquelles le pouvoir est aux mains des employés, des professionnels, tandis que les conseils d’administration (CA), composés de bénévoles ou de militants, n’exerceraient qu’une direction symbolique. II écrit un peu plus loin que la gouvernance est exercée, selon la loi des compagnies, par le CA, dont les membres sont nommés par cooptation, tandis que l’assemblée générale ne ferait que valider ce qui lui est soumis. Cette critique de la professionnalisation des militants et des organismes communautaires, sur laquelle je reviendrai, n’est pas nouvelle et reprend entre autres celles de Jacques T. Godbout.
De plus, les réseaux d’économie sociale et le Chantier qui les regroupe ont choisi « d’aller prioritairement vers le financement public au point d’en faire leur assise principale », ce qui les a entraînés à subordonner le travail militant auprès de leurs membres au lobbying auprès des gouvernements.
Enfin, les leaders de l’économie sociale, souvent issus ou proches de la gauche marxiste-léniniste, y auraient transporté leur culture politique autoritaire. L’exemple le plus flagrant de cet autoritarisme serait la prise de contrôle du Réseau d’investissement social du Québec (RISQ) par le Chantier de l’économie sociale, grâce à des tactiques qui relèvent davantage du grenouillage et du noyautage que de pratiques démocratiques. L’auteur intègre, notamment dans ses blogues, cette critique de l’économie sociale à celle de la professionnalisation et de l’institutionnalisation des groupes communautaires.
Professionnalisation et institutionnalisation
À l’origine, l’action communautaire autonome voulait former des citoyens actifs qui s’associeraient pour offrir des services collectifs répondant à des besoins sociaux, tout en revendiquant auprès des gouvernements l’aide nécessaire à la production de ces services. Or, la reconnaissance des groupes communautaires par les pouvoirs publics sous forme de financement a entraîné peu à peu la professionnalisation dans les organisations et la professionnalisation des organisations qui en arrivent ainsi à subordonner l’éducation et la mobilisation des membres au lobbying auprès des gouvernements. Le cheminement-type est le suivant : « Des militants s’engagent dans des secteurs relativement délaissés par l’État. On s’y dévoue pour une cause sociale […] On finit par devenir des “professionnels” d’une de ces causes sociales, avec des postes permanents rémunérés, à temps plein ou à temps partiel, dans le cadre d’un processus progressif d’accréditation ou de reconnaissance par des pouvoirs publics. La stratégie d’action collective se déplace alors de la mobilisation militante et du contact direct et constant avec la population vers le lobby et la visibilité de son organisation laquelle recherche désormais l’accès à deux ressources majeures pour faire progresser les choses : le financement public et la reconnaissance de nouveaux métiers à la recherche d’un certain statut dans la société (“Le mouvement communautaire québécois a-t-il un avenir ?”, blogue du 26 mai 2009). »
Favreau présente des alternatives à cette dérive. Premièrement, des groupes communautaires qui, comme Équiterre, s’assurent d’une large autonomie politique, en combinant financement propre et financement public. Mais cette avenue privilégiée est, selon moi, très difficile à maintenir, comme bien des groupes communautaires l’ont appris à leurs dépens, car elle repose essentiellement sur des militants qui peuvent lui consacrer de manière durable beaucoup de leur temps libre, tout en travaillant ailleurs. Deuxièmement, des organisations qui, comme celles de loisirs, œuvrent prioritairement au plan local, en misant sur leurs bénévoles et l’auto-génération de revenus. Mais, je me demande si ces organisations de loisirs résisteraient farouchement, si l’État québécois, à l’instar de son homologue français, assurait un large financement…
L’auteur ne cherche pas vraiment à comprendre les raisons de la professionnalisation et de l’institutionnalisation de la plupart des groupes communautaires. Pourtant, l’intérêt de l’État, des militants-professionnels et des citoyens-consommateurs y coïncide. L’État y trouve son compte : il sous-traite à des organisations dont les employés sont moins bien rémunérés que les siens. Les militants, tout en maintenant leur vocation sociale, se créent un emploi qui leur permet de vivre. Les citoyens peuvent accéder à des services que n’offrent ni l’État, ni l’entreprise privée.
Favreau aborde peu la création et l’institutionnalisation par l’État de services créés par des groupes militants. Je pense ici aux Centres locaux de santé et de services sociaux (CLSC) et les Centres de la petite enfance (CPE). Mais l’étatisation de ces services a permis de les étendre à l’ensemble de la province et de payer convenablement ceux qui y travaillent. On peut dire que les militants ont obtenu une grande victoire, même si la plupart ont, hélas ! arrêté de militer.
L’auteur critique avec raison la bureaucratisation de l’ensemble du système de santé et des services sociaux par une orientation hospitalocentriste et la perte d’autonomie professionnelle de ceux qui y œuvrent. Pourtant, des enquêtes montrent que les employés de l’État accordent très souvent à leur travail un sens qui relève de la vocation, tout en estimant que leur employeur ne respecte pas leur professionnalisme. Il y a là un gaspillage considérable par une organisation du travail incapable de valoriser les professionnels sur lesquels repose toute la qualité des services à offrir. Selon Favreau, les groupes communautaires et l’économie sociale voulaient colmater des failles de l’État social. Cependant, l’évaluation de l’atteinte de cet objectif requiert des réponses à trois questions préalables. Quel est cet État social ? Quelles sont ses failles ? Ces failles rendent-elles compte de la crise de l’État social ?
La déperdition de l’État social
Louis Favreau reconnaît parfois les avancées de l’État social : une fiscalité redistributive ; des services publics, notamment en éducation et en santé, destinés aux communautés et aux régions (Louis n’utilise pas le qualificatif usuel de ces types de services : universels) ; une action sur l’emploi et l’économie (politiques d’assurance-emploi, d’insertion socioprofessionnelle…) ; des entreprises publiques, dont l’Hydro-Québec envisagée uniquement du point de vue de l’équité territoriale (p. 126-127).
L’auteur reproche essentiellement à cet État : 1) son incapacité à sortir de la précarité 20 % de la population active ; 2) sa bureaucratisation, sa centralisation et son autoritarisme face à la société civile ; 3) son inefficacité comparativement au marché dont les vertus (blogue du 26 mai) se sont affirmées au point de « pouvoir démontrer qu’il peut faire mieux que l’État dans nombre de domaines (privatisation rampante de la santé, politique de ciblage des populations en matière de protection sociale, valorisation de l’assurance privée ».
Cette valorisation de l’entreprise privée, qu’il proclame sans jamais le démontrer, couplée à la critique de la bureaucratisation de l’État, s’inscrit parfaitement dans les critiques néolibérales de l’État social, dans ce néolibéralisme dont les pratiques ont conduit à la crise financière et économique actuelle. L’économie sociale devait combattre la précarité en créant des emplois, mais la rémunération de la plupart de ceux-ci n’a guère dépassé, selon moi, le salaire minimum, de sorte que l’économie sociale a malheureusement consisté en une forme de gestion sociale de la pauvreté.
L’économie sociale, par son ancrage communautaire et territorial, par sa culture de la proximité, devait être un contrepoids à la bureaucratisation de l’État. Or, regrette Favreau, elle s’est fait bouffer par l’État. La relation démocratique entre professionnels et citoyens-consommateurs, qui titille tant Favreau, recoupe la relation plus large entre intellectuels et peuple : elle est loin d’être simple et mériterait d’amples débats. Je me limiterai ici à affirmer que la critique favreauiste de l’État, désappropriant les citoyens de leur pouvoir d’agir, me semble souffrir d’une vision ambigüe des professionnels. Les citoyens n’ont pas à commander aux professionnels ce qu’ils doivent faire et comment le faire. Les étudiants et les parents ne doivent pas dicter aux enseignants ce qu’ils doivent enseigner et comment enseigner, quoique que ceux-ci doivent être à l’écoute. Les patients ne doivent pas prescrire aux infirmières et aux médecins les soins requis, même si les soignants doivent impérativement les écouter. Contrairement à ce que semble soutenir Favreau, la bureaucratisation de l’État relève surtout d’une organisation du travail fondée sur la négation de l’autonomie des professionnels et, en second lieu seulement, sur la négation du pouvoir d’agir des citoyens.
Toutefois, l’auteur, dans son blogue du 26 mai 2009, regarde l’État social d’un œil plus positif. S’inspirant de Saint-Arnaud et de Bernard (« Convergence et résilience ? Une analyse de classification hiérarchique des régimes providentiels des pays avancés », Sociologie et Sociétés, numéro 35-2, 2003), il avoue que le Québec se distingue favorablement des États-Unis et des autres provinces canadiennes, grâce à un mouvement syndical numériquement et politiquement fort, un « mouvement coopératif nettement plus important, un mouvement communautaire activement présent sur l’ensemble du territoire du Québec depuis 40 ans, en fournissant plusieurs services de proximité soutenus par le financement public […] Sans compter une économie politique forte (Caisse de dépôt, SGF…), faisant grand ménage avec les grandes institutions financières du mouvement coopératif (Desjardins) et du mouvement syndical (les fonds de travailleurs, les caisses d’économie…) ».
Et, renvoyant à des analyses du politologue Thériault, l’auteur critique la notion d’État, « stratège des partenariats », cher aux promoteurs de l’économie sociale : « Elle souffre de déficit politique par une trop forte insistance sur les fonctions régulatrices de l’État et pas assez sur les fonctions politiques […] ; elle sous-estime les politiques publiques à vocation universelle (d’assurance) au bénéfice de l’assistance par l’intermédiaire d’associations citoyennes qui travaillent bien souvent de façon très ciblée en partenariat avec l’État ; elle révèle une faiblesse de référence aux mobilisations sociales nécessaires à une construction partenariale avec l’État qui nécessite la présence durable de partis politiques progressistes au pouvoir. » Mais il faut aller au-delà de l’autocritique de Louis Favreau pour comprendre la profondeur de la crise de l’État social et l’ineptie de l’idéologie de l’économie sociale.
Les conséquences de 1989
L’écroulement du Mur de Berlin démontre de façon éclatante l’échec lamentable du socialisme existant, fondé sur le marxisme-léninisme, qui n’est que la synthèse stalinienne du léninisme à la période de la guerre civile. Plusieurs des idéologues de l’économie sociale étaient auparavant marxistes, sans être tous marxistes-léninistes, certains s’identifiant, entre autres, à la théologie de la libération. Mais, en rejetant avec raison le marxisme-léninisme, ils ont fait table rase de tout ce que leur avait enseigné le marxisme. Ils ont par la suite analysé la société, en reprenant à leur compte, sans trop s’en apercevoir, les notions mêmes des dominants : la gouvernance mise de l’avant par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au début des années 1990, le partenariat défini par des spécialistes des Relations industrielles, la conception libérale de l’État et de la société civile, etc. Cette adhésion aux concepts dominants explique sans doute qu’ils aient pu imaginer, avec une telle candeur politique, une coconstruction possible de services collectifs par les groupes communautaires et l’État, et ne pas prévoir la coconstruction de services collectifs par la Fondation Chagnon et l’État…
Marx n’était évidemment pas marxiste-léniniste et le marxisme est beaucoup plus riche et complexe que ce courant qui a été politiquement dominant. Il ne s’agit pas de revenir au marxisme pour s’y enfermer bêtement et ânonner des réponses toutes faites. Il s’agit d’y retrouver le souffle critique. On verrait alors que la crise de l’État social dépasse de beaucoup le problème de sa bureaucratisation. Dès le début des années 1980, donc bien avant la chute du Mur, l’État social perd son qualificatif. En 1982, et surtout en 1983, le gouvernement du Parti socialiste français (PSF) change radicalement de position et substitue à un programme socialiste une politique qui se plie au néo-libéralisme défendu par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et Ronald Reagan (1911-2004) aux États-Unis. Le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), lui aussi au pouvoir, entreprend le même virage. Une politique semblable est maintenue en Europe au début des années 1990, alors que la majorité des gouvernements de l’Union européenne se situent à gauche. Tony Blair du Labour Party, premier Ministre de la Grande-Bretagne de 1997 à 2007, soutiendra cette « troisième voie », qui consiste à subordonner les idéaux sociaux-démocrates aux réalités d’un marché libéré de la réglementation étatique et dominé par le grand capital financier.
Aussi, il ne faut pas trop espérer du « Chantier vers une nouvelle social-démocratie », mis sur pied par les promoteurs du Chantier de l’économie sociale. Il accouchera sans doute d’une social-démocratie blairienne accommodée à l’économie sociale. Les idéologues du Chantier, s’ils ressortent de leurs bibliothèques les vieux livres de Marx, de Gramsci… et les relisent, ne trouveront pas dans le marxisme la voie à suivre, mais éviteront à leurs partisans le cul-de-sac désespérant dans lequel ils les conduisent aveuglément.
Réponse à Jean-Marc Piotte par Louis Favreau
Les entreprises collectives ont-elles leur place dans un projet de sortie du capitalisme ?
Le débat à gauche au Québec sur l’économie sociale est entré dans l’espace public avec l’arrivée d’une nouvelle organisation en 1999, le Chantier de l’économie sociale, dans la foulée du Sommet de l’économie et de l’emploi de 1996, époque où le gouvernement était dirigé par le Parti Québécois. Une partie de la gauche a tranché contre « l’économie sociale ». En réalité contre une stratégie particulière et contre une organisation spécifique, le dit Chantier de l’économie sociale. Dans mon ouvrage, je ne mets pas en doute « les vertus » de l’économie sociale mais plutôt les politiques d’une organisation qui prétend la porter à elle seule depuis plus de 10 ans. Le débat est progressivement revenu par la porte d’à côté : les Brésiliens jettent les bases du Forum social mondial en 2001 et avancent la notion d’« économie solidaire » en faisant référence à ces milliers d’initiatives socio-économiques (coopératives, associations citoyennes, banques communautaires…) issues des communautés dans le sillage du mouvement paysan et du mouvement des travailleurs. Oups ! Qu’en penser alors ? Dans une premier temps, la notion nous arrive par un Sommet du gouvernement du Québec et un courant au sein du mouvement communautaire qui ne veut plus se confiner à la stratégie du refus et à la seule défense de droits sociaux et, de l’autre, une notion apparentée qui nous arrive du Sud par le mouvement altermondialiste dont le positionnement à gauche ne fait pas de doute. Que vient faire mon livre dans ce paysage ?
Un ouvrage qui cherche à relancer le débat sur la coopération, l’économie sociale et le « modèle québécois de développement »
Les solutions à la crise du « modèle québécois de développement » doivent-elles être de caractère public ou de caractère privé ? Faux dilemme, dilemme gauche/droite à l’ancienne, manifestement le plus présent dans l’espace public (médias, partis politiques, universitaires…). Faux, parce qu’il ne connaît que la logique privée centrée sur le profit des actionnaires majoritaires et la logique publique centrée sur l’État et un service public mur-à-mur. On laisse alors en marge mouvements sociaux, associations citoyennes, communautés locales et régions qui ont initié des activités socio-économiques de toutes sortes. Faux donc, parce que ce débat ne reconnaît pas vraiment la légitimité d’une participation citoyenne active dans la construction des solutions économiques à la crise et sous-estime voire méprise ces initiatives socio-économiques visant à « s’associer pour entreprendre autrement » [1] . Mon livre part d’abord d’un constat : les nombreux travaux de la dernière décennie sur les pratiques où l’économique et le social se croisent et interagissent sont souvent décevants : fragmentés, faiblement autonomes, parfois instrumentalisés et faisant l’apologie de ces pratiques et encore plus de l’organisation la plus médiatisée de ce pôle d’initiatives, le Chantier de l’économie sociale (CES). Après 10 ans de ce type de recherche et de bilans toujours positifs, un bon tour de jardin s’imposait. J’ai donc tenté dans cet ouvrage de faire une synthèse générale des enjeux politiques québécois et internationaux de ce type d’entreprises qui ont comme première caractéristique d’être à propriété collective plutôt qu’à propriété privée. Je croise deux registres : l’analyse critique et la compréhension de l’intérieur mais cette fois avec une approche plus politique de la question, moins « sociologie économique » laquelle prévaut dans les études sur ce sujet.
Je distingue d’abord différentes familles de cet « autre secteur » dont on pourrait dire qu’il est un secteur non-capitaliste qui est tout à la fois en cohabitation et/ou en concurrence avec l’entreprise privée et avec l’entreprise publique dans la production de biens et de services. Après avoir abordé les principaux courants théoriques et quelques expériences historiques significatives de ces formes d’action collective, après avoir montré le type de contribution de ces entreprises collectives surtout au plan des économies locales et régionales, je fais l’analyse de l’architecture politique des entreprises collectives et donc j’examine leurs regroupements. J’introduis alors aux coulisses des organisations elles-mêmes : enjeux de concurrence entre regroupements existants, opérations d’autolégitimation et de représentativité, capacité réelle de changement social par delà le discours des dirigeants et dynamique entre les organisations soit le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) qui représente politiquement la famille coopérative et mutualiste, et le Chantier de l’économie sociale (CES) qui représente la famille associative, les OBNL ayant des activités économiques. À contre-courant de la thèse admise depuis 10 ans, je démontre qu’il n’y a pas un regroupement mais deux regroupements nationaux, appuyés par des familles d’organisations et d’entreprises différentes. Cela a eu l’effet d’une petite bombe dans le « inner circle » de ces organisations. Pour le meilleur…et pour le pire.
Par la suite, je m’interroge sur le renouvellement de l’État social (et donc sur la crise actuelle de cet État-providence), montrant la particularité du Québec en Amérique du Nord qui s’explique, en partie, par la présence d’un mouvement syndical fort, d’un mouvement coopératif important et d’un mouvement associatif actif. Mais je constate aussi des signes de fatigue de ce « modèle à la québécoise ». En outre, je fais le bilan des développements de ce type d’entreprises dans la dernière décennie. C’est là que je me trouve à fournir à mes amis d’une certaine gauche, comme J.-M. Piotte, des arguments en sa défaveur parce que j’y analyse tensions, différends, impasses mêmes. Le Chantier, organisation la plus médiatisée et se prétendant le porte-parole de l’ensemble de ces entreprises se voit diagnostiquée d’une représentativité mal établie, d’un esprit de concurrence marqué, d’un discours hégémonique et de déficits démocratiques qui ne sont pas mineurs. Le CQCM de son côté offre un visage d’une organisation plus ancienne, assez convenue, se prononçant peu souvent sur des questions d’intérêt général, disposant d’une faible visibilité politique mais relativement démocratique, indépendante et en plein renouvellement. Grâce entre autres aux coopératives d’énergie renouvelable, aux coopératives multi-activités dans de petites villes en déclin, aux coopératives agricoles émergentes dans le bio…Ce qui ne manque pas de relancer des débats plus larges au sein de cette organisation. Je ne pouvais pas non plus ne pas aborder l’internationalisation des entreprises collectives québécoises. C’est peut-être là, pour une partie de la gauche, qu’il y a le plus de bonnes surprises.
En bout de ligne, j’attaque de front plusieurs questions : 1) par delà les malaises de l’économie sociale issus des politiques du Chantier en particulier, le déficit démocratique d’un certain nombre d’organisations du mouvement communautaire et la forte intégration de celles-ci par les programmes de financement public et les partenariats obligés ; 2) par delà la conception mur à mur de l’État (l’étatisme d’une certaine gauche sociale et politique dont plusieurs dirigeants syndicaux du secteur public), je dis que l’État social est une notion à revisiter en profondeur [2] . Relativement au renouvellement de l’État social, je suis d’accord au moins sur un point avec J.-M. Piotte : il y a de la candeur politique dans l’idée d’une co-construction de politiques publiques (idée véhiculée dans la mouvance du Chantier de l’économie sociale). Je parle plutôt d’une période de cohabitation active, laquelle est cependant bel et bien terminée depuis plusieurs années. En réalité, le renouvellement de l’État social induit d’abord et avant tout de fortes mobilisations sociales et la construction d’alternatives. Le sociologue François Houtard disait à l’assemblée générale de l’ONU récemment : « Le monde a besoin d’alternatives et pas seulement de régulations » (2008). Il a parfaitement raison. Bref, les régulations sont construites par des États et des partis politiques qui aspirent au pouvoir, les alternatives se bâtissent dans les espaces que les mouvements se donnent, comme les forums sociaux. Et aujourd’hui ce sont ces alternatives qui sont à l’ordre du jour, notamment avec des pratiques économiques solidaires.
Par delà l’ouvrage une question politique majeure pour la gauche québécoise : les entreprises collectives ont-elles leur place dans un projet de sortie du capitalisme ?
1. Entreprises collectives et mouvements sociaux
Ce qu’on oublie souvent dans la littérature scientifique et politique, l’approche tout à l’économique prévalant, c’est que les entreprises collectives ont, la plupart du temps, émergé d’initiatives dans le sillage d’autres mouvements : dans le domaine de l’assurance (sociétés d’entraide), avec le mouvement ouvrier naissant [3] , puis avec les syndicats (des mutuelles comme la SSQ) ; dans l’agriculture, avec le syndicalisme des producteurs agricoles (coopératives laitières) ; dans les CEGEPs et les universités, avec le mouvement étudiant (coopératives scolaires) ; dans le monde du travail, avec le mouvement syndical (caisses d’économie, fonds de travailleurs, ACEF) ; dans l’habitat avec le mouvement communautaire (coopératives et OBNL en habitation) ; dans les nouveaux créneaux du type « commerce équitable » avec le mouvement de la consommation responsable ; dans la coopération Nord-Sud avec les organisations de coopération internationale (OCI) et aujourd’hui, dans un mouvement citoyen international émergent avec les Forums sociaux. Sans compter la participation des entreprises collectives au mouvement d’affirmation des régions et des communautés contre la dépossession du contrôle de leur développement.
Autrement dit, dans une société démocratique comme la nôtre, au fil des décennies, contrairement à l’idée reçue, les rapports du mouvement coopératif (et des autres organisations de l’économie sociale) ne se sont pas tissés uniquement avec des partenaires institutionnels (gouvernements locaux, dispositifs publics de développement local et régional, ministères à Québec…) mais aussi avec d’autres mouvements.
Dans une perspective de gauche, il faut donc, à mon avis, conclure que : 1) ce courant de pratiques peut être porteur, à des degrés divers, de formes alternatives d’économie ; 2) ce sont des organisations et des entreprises qui refusent la séparation entre viabilité économique et justice sociale. Ont-elles leur place dans un projet de société globale porté par la gauche ? La gauche traditionnelle de culture communiste a toujours dit non. L’autre gauche a toujours dit oui.
2. La conquête d’espaces démocratiques dans les entreprises : deux stratégies plutôt qu’une
Un des vices majeurs du capitalisme : la démocratie s’arrête aux portes des entreprises. Le mouvement ouvrier dès le début du 19e siècle a lutté pour des conquêtes démocratiques dans l’entreprise. Elle prendra surtout la forme que le syndicalisme lui donnera : introduire des contre-pouvoirs dans l’entreprise capitaliste en limitant l’arbitraire patronal, en grugeant progressivement, par l’intermédiaire de conventions collectives, les « droits de gérance », en balisant la sécurité d’emploi, la gestion de régimes de retraite...
Mais le mouvement ouvrier a aussi cherché à concevoir des formes d’organisation de l’économie où pourraient s’appliquer le respect des principes démocratiques. C’est la tradition coopérative qui en sera la meilleure expression jusqu’à aujourd’hui. Mais cette forme d’entrepreneuriat est demeuré minoritaire au sein d’un océan d’entreprises capitalistes. L’idée d’autogestion avec la pluralité des centres de décision que cela implique aura aussi un temps ces lettres de créance, la Yougoslavie socialiste des années 60 fournissant un « modèle de développement ». On connaît la suite. Les nouveaux mouvements (commerce équitable et consommation responsable, souveraineté alimentaire, écologie sociale..) évoluent dans le même sens. Il y a deux stratégies de base pour changer la société et sortir du capitalisme : le développement de « contre-pouvoirs » par la défense de droits (syndicalisme…) et la construction d’alternatives économiques dès maintenant (« résister et construire », les pas de fourmi) et la stratégie de la conquête du pouvoir par des partis progressistes (le pas de géant). L’une ne va pas sans l’autre me semble-t-il et l’autonomie des uns et des autres aussi.
3. Entreprises collectives dans l’histoire des mouvements sociaux
Pour les fins du débat sur la place des entreprises collectives et sa place dans un projet de sortie du capitalisme, je veux mettre en relief quelques lignes de force :
- Cela fait 150 ans, dans les pays du Nord, qu’un pan entier de l’économie s’est écarté - à des degrés divers - des lois du marché et de la régulation publique. Cette économie a été périodiquement mise au rang des accusés au sein de la gauche par la tradition communiste qui la considérait comme le cheval de Troie du capitalisme mais aussi, à coup sûr, par la vision étatiste de gouvernements (de centre ou de gauche) misant quasi exclusivement sur l’État et le service public. C’est la crise de l’emploi, puis celle de l’État providence qui ont permis aux entreprises collectives de se faire valoir à nouveau en sortant de l’éclipse qu’elles avaient subi dans la période des « trente glorieuses » (1945-1975).
- Les entreprises collectives sont un héritage des classes populaires au même titre que le syndicalisme et les partis politiques de gauche. L’histoire des Pionniers de Rochdale traduit fort bien ce point de vue. Ce n’est pas un hasard que les fondateurs du mouvement coopératif britannique se soient appelés Les Équitables Pionniers de Rochdale. Cette première coopérative, fondée en 1844, en banlieue de Manchester, ville de la grande industrie textile, avait pour conviction que le commerce étaient aux mains d’« intermédiaires parasites ». Les principes fondateurs du mouvement coopératif qui ont émergé à Rochdale ont fait le tour du monde et font encore périodiquement l’objet de débats au sein de l’Alliance coopérative internationale (ACI). En passant, le commerce équitable aujourd’hui est de la même mouture avec le même potentiel…et les mêmes risques de banalisation ou d’instrumentalisation [4].
- On assiste dans les 30 dernières années à un renouvellement du mouvement coopératif un peu partout dans les pays du Nord. Au Québec, ce renouvellement passe notamment par les coopératives de développement régional (CDR) dans les années 80, les États généraux de la coopération (1992) et de nouvelles formes de coopérative (la coopérative de solidarité). Ces coopératives sont regroupées au sein du CQCM, le plus ancien des regroupements québécois d’économie sociale. Ce renouvellement passe aussi par les initiatives sectorielles plus récentes issues du Sommet du gouvernement du Québec sur l’économie et l’emploi en 1996 (centres de la petite enfance, ressourceries, entreprises d’insertion...) regroupées surtout au sein du Chantier d’économie sociale. Ces deux regroupements exercent des fonctions d’interlocuteurs auprès des gouvernements et sont des lieux de concertation, de formation, de délibération à l’échelle du Québec.
- Les entreprises collectives qui évoluent sur le marché, principalement des coopératives et des mutuelles, sont confrontées historiquement au risque de la banalisation c’est-à-dire devenir des entreprises comme les autres. Mais elles font aussi la preuve que la démocratie ne s’arrête pas aux portes des entreprises. Celles qui évoluent dans des missions de service public, des associations principalement (OBNL) sont, de leur côté, confrontées historiquement au risque de la sous-traitance. Mais elles font aussi la preuve qu’il est possible de renouveler l’État social au moins au niveau des communautés locales et des régions.
D’un point de vue plus général et plus politique, les entreprises collectives, nées dans le sillage de mouvements sociaux (paysan, ouvrier, associatif, des femmes, écologique...), ont des fondements éthiques qui ont peu à voir avec le capitalisme : association de personnes (et non d’actionnaires) ; propriété collective et partage des surplus avec l’ensemble de leurs membres ; fonctionnement démocratique. Telles sont les assises qui les inscrivent dans le patrimoine collectif de nos sociétés (assises qui empêchent les délocalisations par exemple). Autrement dit des alternatives sont déjà là dans toutes sortes d’expériences locales concrètes qu’il est indispensable, bien entendu, de coupler avec des alternatives globales. Cela exige cependant de revisiter les divers projets politiques de dépassement du capitalisme : de la régénération de la social-démocratie à l’écosocialisme. Tous ces projets alternatifs, à mon avis, ne pourront cependant pas passer à côté de l’urgence écologique et de la solidarité internationale qui interviennent aujourd’hui plus que jamais dans le processus de transformation sociale, comme valeurs de premier ordre et comme dimensions déterminantes d’une stratégie de changement social.
Économie solidaire et mouvements sociaux dans la nouvelle conjoncture internationale
L’inédit des années 2000, c’est que bon nombre de mouvements, de caractère surtout national, ont commencé à investir l’espace international en participant à l’émergence d’un mouvement citoyen international. Dans leur première phase, les forums sociaux internationaux mobilisèrent des ONG du secteur de l’environnement et du développement social. Puis d’autres organisations emboîtèrent le pas : organisations de défense de droits sociaux (enfants...), syndicats, ONG d’aide humanitaire, puis réseaux de commerce équitable et d’entreprises collectives principalement du Sud portées par le courant politique de l’économie solidaire [5], des réseaux du mouvement des femmes et des Églises chrétiennes progressistes.
Simultanément, au plan international, les grandes organisations syndicales, paysannes et coopératives ont commencé à se transformer de l’intérieur [6] en se rapprochant du mouvement citoyen international émergent. Par exemple, la nouvelle Confédération syndicale internationale (CSI) tient des assises depuis quelques années au sein du FSM.
La participation des entreprises collectives au développement d’une mondialisation solidaire
Le Québec des entreprises collectives est très engagé dans ces nouvelles dynamiques internationales. Par exemple, l’Union des producteurs agricoles (UPA) soutient des projets de commercialisation collective de produits agricoles et artisanaux dans une douzaine de pays d’Amérique latine et d’Afrique ; la CSN et la FTQ accompagnent des projets de développement de syndicats du Sud ; SOCODEVI, relais international des membres du CQCM, est engagé dans des dizaines de projets en Afrique et en Amérique latine de même que Développement international Desjardins (DID) travaille à l’émergence de caisses populaires autant en Asie qu’en Afrique ou en Amérique latine ; le Chantier de l’économie sociale est présent, sous le mode mineur, par l’intermédiaire d’une OCI, le CECI ; tandis qu’une cinquantaine d’organisations de coopération internationale (OCI) québécoises - regroupées au sein de l’AQOCI -, travaillent, bon an mal an, avec l’apport de centaines de coopérants dans l’animation de projets de développement. Plusieurs de ces organisations se retrouvent depuis 10 ans au sein du Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) [7] .
Le positionnement de départ de bon nombre de ces initiatives est le suivant : on s’attaque véritablement à la pauvreté en allant à la source qui la génère, la dépendance économique. Telle est la matrice d’origine du « modèle québécois de développement » des entreprises collectives à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Comment alors ne pas penser à une certaine similitude avec la situation actuelle de nombreuses sociétés du Sud : un monde populaire acculé à la survie et donc aux petits boulots ou à la migration ou encore asservis par les conditions qu’imposent des intermédiaires à la circulation des produits locaux. Similitude de perspective : la lutte contre les inégalités est une lutte contre la dépendance et passe donc par un développement de l’intérieur et non par un processus de capitalisation extraverti.
Et nous voilà replongés dans l’économie solidaire : le mouvement coopératif, principal levier de l’économie solidaire à l’échelle internationale converge autour de deux choses : 1) répondre aux besoins de populations par des organisations solidaires de production et de consommation ; 2) développer de nouveaux modèles de participation ou de démocratie économique. Concrètement, cela signifie surtout le soutien au démarrage de coopératives d’épargne et de crédit, de mutuelles de santé et des coopératives agricoles, trois piliers du développement actuel des entreprises collectives dans le Sud Carfantan, [8]. Contrairement aux idées reçues sur le sujet, c’est de ce côté que l’essentiel de la coopération internationale de proximité des entreprises collectives du Québec est allé jusqu’à maintenant et avec raison.
[1] Demoustier, D. (2001). L’économie sociale et solidaire. S’associer pour entreprendre autrement. Syros, Paris.
[2] Soit dit en passant, la valorisation du privé jugée plus efficace que le public que me prête J.-M. Piotte est liée à sa lecture trop rapide et sa recherche de la contamination néolibérale dans mes écrits. J’ai simplement dit dans l’ouvrage et dans mon carnet que le privé avait su développer dans nombre de secteurs de la société une certaine capacité de démonstration. C’est présenté comme un constat, non comme une conviction ! Pour être bien clair, ma pensée à ce sujet est la suivante : « le mouvement général des États est devenu moins lisible : brouillage de politiques publiques de plus en plus ciblées ou abandonnées au privé ; tyrannie des modes de gestion du privé dans les services publics, dictée par l’idéologie de la « nouvelle gestion publique » ; utilisation de l’État comme pompier de service des banques dans le sillage de la crise financière ». Voir Favreau, L., L.Fréchette et R. Lachapelle, L. (2010). Mouvement sociaux, démocratie et développement. Les défis d’une mondialisation solidaire, PUQ, Sainte-Foy.
[3] Peticlerc, M. (2007), Nous protégeons l’infortune. Les origines populaires de l’économie sociale au Québec. VLB, Montréal.
[4] Lemay, J.-F., L.Favreau et C.Maldidier (2010), Commerce équitable, les défis de la solidarité dans les échanges internationaux, PUQ, Sainte-Foy.
[5] L’« Économie solidaire » en Amérique latine est un « référenciel général ». Il ne désigne pas un secteur de l’économie mais sert plutôt à qualifier l’ensemble du système économique et social à construire.
[6] Favreau, L. L.Fréchette et R. Lachapelle, L. (2008), Coopération nord-sud et développement. Le défi de la réciprocité. PUQ, Sainte-Foy, p. 121 à 156.
[7] Le Chantier de l’économie sociale a quitté le GESQ en 2009 en prônant sa dissolution au nom du « principe » que le Chantier représente l’ensemble de l’économie sociale au Québec. En conséquence, c’est à lui d’exercer la représentation internationale du Québec. La coalition des organisations que réunit le GESQ a dit non sans hésitation. Pour en savoir plus sur le GESQ : http://www.uqo.ca/ries2001/gesq/
[8] J.-Y. (2009), Le choc alimentaire mondial, Albin Michel, Paris, p.199 à 132.
Jean-Marc Piotte
Louis Favreau
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L’économie sociale : oui mais quelle économie sociale ?10 novembre 2010, par Bernard Bohmert
Je suis heureux de constater que l’économie sociale est arrivé à un point d’analyse du chemin parcouru. Il est long le chemin de le remise en question et faibles les changements qui pourront être apportés tant la complicité dans les "partenariats" entre État et organisations communautaires, coopératives de services, organisations sectorielles et sectes du bien faire absolu, ont sclérosé la souplesse qui caractérisait leurs luttes de jadis. je partage en parie les réflexions abordées et je suis vraiment touché de constater qu’il est donc possible de penser autrement et de relever ce qui ne semble pas aller. Je n,accepte pas que l’économie sociale fasse rimer salaire avec minimum. Je n’accepte pas que le retrait de l’État dans certaines sphères soit synonime de développement pour l’économie sociale. Je n’accepte pas que l’économie sociale soit celle des pauvres, de l’exclusion et de la pauvreté. Je n’accepte pas que économie sociale et organisations communautaires riment avec silence actuellement et NON MOBILISATION. jE N’AIME PAS QUE MA CAISSE D’ÉCONOMIE SOIT UNE BANQUE, JE N’AIME PAS QUE MON PRÉSIDENT DE cONSEIL CENTRAL DE LA CSN soit président du de La table des partenaires du marché du travail. Je ne ressens pas une progression mais une régression face aux droits des gens, à leur intelligence et à leurs capacités au profit de la ligne dure d’une ploutocratie évidente.