Carnet de Louis Favreau
Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC)
Texte paru dans Le Devoir de septembre 2003 dans la rubrique Idées

Une autre mondialisation en marche

septembre 2003 par Louis Favreau

Rien n’est plus faux que l’idée d’une mondialisation en cours qui serait un ensemble unique de processus. Un mouvement citoyen international qui a émergé avec la fin de la décennie 90 est là pour le démontrer. Au Sud comme au Nord, des alternatives se dessinent : Quelles sont-elles ? Qu’annoncent-elles pour l’avenir de la planète ? Quelle force réelle représentent-elles ? Quelle portée ont-elles et peuvent-elles avoir face à la tendance lourde du néolibéralisme ?

Après l’intervention militaire américaine en Irak et la guerre redevenue une réalité centrale dans le monde, après la façon cavalière des Etats-Unis de se défaire du multilatéralisme en matière de coopération entre États, une autre mondialisation est-elle possible ? C’est la question que beaucoup de gens se pose. Quelles sont les nouvelles pièces du « puzzle » international qui se mettent en place ? Par delà les manifestations pour la paix dans la rue, au Québec comme dans nombre de pays d’Europe et aux Etats-Unis même, de nouveaux réseaux s’organisent dans la durée : du Forum social mondial de Porto Alegre au Brésil et bientôt en Inde en passant par le réseau des Rencontres internationales d’économie sociale et solidaire de Lima (1997), de Québec (2001) et bientôt de Dakar (2005), les Rencontres de l’Alliance pour un monde pluriel, responsable et solidaire, les Rencontres du Réseau mondial des acteurs du développement local durable, celles du groupe international « Femmes et économie solidaire »…des réseaux internationaux nouveaux tissent en effet leur toile en s’appuyant sur des milliers d’initiatives économiques alternatives, au Nord et au Sud, initiatives qui refont le monde, localement du moins, en s’inscrivant dans un mouvement plus vaste de la société civile qui se mobilise au plan international. En outre, des sociétés (et leur État) sont en quête d’un développement autre par une économie plurielle et des formes nouvelles de démocratie politique. C’est le cas du Brésil de Lula ou de l’Afrique du Sud. « Last but not least », des coopérations internationales québécoises innovatrices se font également jour. Un mouvement citoyen international a donc commencé à se faire entendre mais surtout à s’organiser sur ses propres bases pour animer et construire des alternatives à la mondialisation néolibérale.

Certes ce sont des temps d’incertitudes, de gouvernance mondiale en crise, de fatigue de l’aide publique au développement, de catastrophes écologiques appréhendées…, ce sont des temps de guerres au nom, dit-on, de la démocratie et du développement et ce sont des temps de consensus mous autour de notions comme celles de « participation », de « société civile », de « démocratie », de « développement » dans les institutions internationales. Mais ce sont aussi des temps de recherche au sein des mouvements sociaux du passage d’une position d’« anti-mondialisation » à une posture d’« alter-mondialisation », des temps pour donner un contenu nouveau à ces notions d’abord venues des mouvements sociaux mais reprises et édulcorées par les grandes institutions économiques internationales. Ici et là, eu Afrique, en Asie, en Amérique latine comme en Europe et au Québec, des organisations et des réseaux leur redonnent un sens plein et une force de mobilisation et de transformation sociale. Citons quelques exemples plus visibles que d’autres. La Grameen Bank n’est-elle qu’une banque pour les pauvres ? Non car elle questionne la banque privée et même les grandes institutions fiancières coopératives et mutualistes. Havelaar –et les initiatives qui lui correspondent- n’est-il qu’un simple label de commerce équitable ? Non car il questionne le commerce international et fournit la démonstration qu’il est possible de commercer autrement à l’échelle internationale. Avec leur politiqiue de budget participatif, Villa el Salvador au Pérou (350,000 habitants) ou Porto Alegre au Brésil (1.3 million habitants), ne sont-elles, en tant que municipalités, que les initiatrices d’un simple outil de gestion urbaine ? Non car elles questionnent tout à la fois l’insuffisance de la seule démocratie représentative et le développement économique dominant.

Si ces expériences sont très localisées au départ, elles ont su, lorsqu’on les examine sur une période assez longue, changer non seulement leur milieu immédiat mais également changer le monde en changeant d’échelle d’action pour brancher ce « local » sur le « global ». Ces expériences comme de milliers d’autres ont la faculté d’avoir un intérêt planétaire, parce qu’elles ont en commun d’ouvrir un avenir partageable, que l’on soit au Nord ou au Sud, en mettant en relief de nouveaux modes d’organisation collective, de nouveaux rapports entre le « social » et l’« économique » et de nouveaux rapports entre l’« économique » et le « politique » à travers la construction de nouveaux espaces publics.

Les programmes d’ajustement structurel (PAS) du FMI ont en effet ouvert une brèche dans les modèles de développement déjà présents dans les pays du Sud, ce qui a durement secoué les États et les populations qui en ont subi le contre-coup. On a alors assisté à la montée en puissance d’une économie dite informelle. Mais la société civile a utilisé cette brèche en donnant naissance à des innovations économiques et sociales de création de richesses. Ce faisant, ces innovations ont favorisé la relance des économies locales, notamment au sein des espaces délaissés par le développement économique dominant. Moins durement bouleversées mais néanmoins touchées, les sociétés du Nord ont aussi vécu des ruptures (crise de l’emploi, crise de la production de services collectifs dans les communautés…) qui ont amené, par des pratiques souvent inédites, à la remise en question de leur modèle de développement..

Et ces pratiques d’économie populaire et de développement des territoires, d’économie sociale et solidaire, de développement local et régional, de démocratie participative…et de « mondialisation par le bas » issues des ONG, de syndicats, de diasporas, de groupes de femmes…ont finalement donné lieu avec des résultats variables évidemment à la remise en question des anciens contrats sociaux nationaux (au Nord et au Sud) voire même aidé à modifier les politiques de certaines institutions internationales (BIT, PNUD…) [1]. Simultanément, ces pratiques sont venues rejoindre les revendications portées par des mouvements sociaux internationaux sur l’annulation de la dette des pays les moins avancés (PMA), la réforme de l’ONU et surtout des institutions financières internationales, la lutte pour la taxation des flux financiers, l’accès de tous aux services de base (accès à l’eau potable, services sociaux et de santé, services d’éducation…).

Des thèmes socio-économiques adossés à d’autres plus socio-politiques traduisent ainsi de nouvelles dynamiques d’acteurs collectifs, s’appuyant notamment sur des mouvements associatifs, coopératifs et syndicaux, des ONG, des gouvernements locaux et des associations de producteurs : regroupements villageois, municipalités mettant en oeuvre des politiques de décentralisation (« budgets participatifs », « conseils de quartier »…), finances solidaires, mutuelles d’épargne et de crédit ou mutuelles de santé, nouveaux services de proximité, réseaux locaux d’entrepreneurs (TPE et PME), diasporas devenus agents de développement, nouvelles formes de coopération internationale (plus décentralisée, plus partenariale)… Non ce début de siècle n’est pas nécessairement désespérant car des stratégies et des politiques inédites de développement surgissent à partir d’innovations économiques et sociales issues de communautés locales, de gouvernements locaux ou même d’États en réponse à des enjeux locaux mais aussi en réponse aux dérives provoquées par la mondialisation en cours. Bref de nouvelles régulations par le bas se sont faites jour et interagissent avec les États lesquels demeurent -quoiqu’en disent les néolibéraux de la Banque Mondiale et, chez nous, ceux de l’ACDI (Josée Boileau, Le Devoir, 10/08/03)- des régulateurs indispensables, surtout lorsqu’ils cohabitent activement avec leur société civile à créer des filières nouvelles de développement. Dossier à suivre.

À l’époque c’est la tenue prochaine d’une conférence internationale sur Le Sud et le Nord dans la mondialisation

[1Voir les travaux les plus récents dont Rouillé d’Orfeuil, 2001 (Économie, réveil des citoyens, Éd. La Découverte) ; Castel, O., 2002 (Le Sud dans la mondialisation. Quelles alternatives ?, Éd. La Découverte) ; Defourny et Develtere, 1999 (L’économie sociale au Nord et au Sud aux Éditions de Boeck) ; Favreau, Lachapelle et Larose, 2003 (L’économie sociale et solidaire. Une perspective Nord-Sud), publié par la revue Économie et Solidarités.


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