
Développement des communautés et crise écologique : des mobilisations inédites
Le long de la Vallée du Saint-Laurent, de Montréal à Rimouski, sur 550 kilomètres, des centaines de communautés sont menacées par l’offensive en cours des pétrolières et des gazières, tout particulièrement par l’exploration du gaz de schiste. Le plan de ces entreprises : 20,000 puits à mettre en chantier dans les prochaines années. Même chose pour les communautés forestières ! La dernière décennie a été très difficile, faisant passer le chiffres d’affaires du réseau coopératif de ce secteur de $460 à $225 millions et les emplois coopératifs de 6400 à 3000 en 10 ans. De plus l’ensemble des emplois forestiers depuis 2005 ont passé de 144,00 à 68,000, une chute de près de 55%. Comment des communautés font-elles face à ces enjeux de dépossession et à l’enjeu de plus en plus déterminant de l’urgence écologique ? État des lieux de la crise écologique, récits de deux expériences locales et mise en perspective au plan politique.
Capitalisme et crise écologique : y a-t-il urgence en la demeure ?
Le capitalisme est secoué par des crises successives, de « petites crises ». Mais il y a de grandes crises comme celle des années 1930. La crise que nous traversons depuis 2008 n’est pas une « petite crise » cyclique mais une « grande crise » comparable à celle des années 1930, par son ampleur et sa profondeur même si elle est différente sous certains aspects, notamment dans sa dimension écologique. La crise est globale, tout à la fois économique, sociale et écologique. La domination d’un capitalisme boursier et financier, l’accentuation des inégalités entre le Nord et le Sud (et au sein de ces espaces), le retour de la précarité dans le monde du travail et l’urgence écologique sans précédent caractérisent la période actuelle.
En poussant plus loin, on voit que le changement climatique, la crise alimentaire et la crise énergétique se télescopent et se combinent à la crise financière que peu de monde avait vu venir. On prend conscience de la dérive écologique : le réchauffement climatique, la réduction de la biodiversité, l’acidification des océans, la dégradation des forêts, la diminution des terres cultivables, la pénurie mondiale d’eau douce… D’où la fracture de plus en plus nette entre la création de richesses au plan économique et le progrès social et écologique, et par là le frein à la mise en œuvre des conclusions de Rio 1992. L’enjeu du réchauffement climatique est entré dans l’espace public international avec plus de force et d’intensité avec Copenhague 2009 et le sera à nouveau avec le Sommet de la Terre à Rio en juin 2012 : quelle sera l’ampleur du réchauffement au 21e siècle ? 2, 3, 4, 5, 6 degrés C ? En gros, on sait que si on dépasse le seuil de 2 degrés C, le réchauffement de la planète devrait entraîner une réduction de la productivité agricole réduite (sécheresses, inondations…), l’aggravation de l’insécurité quant à l’accès à l’eau potable, des inondations côtières et l’accroissement des risques sanitaires.
Le Groupe intergouvernemental d’études sur l’évolution du climat (GIEC) n’a pas fait de projection au-delà de 2 ou 3 degrés, tant à ce niveau, les choses apparaissaient déjà redoutables. Ce groupe d’experts internationaux s’entend pour dire que 2 degrés est un plafond et que pour respecter ce plafond, cela suppose que les pays industrialisés du Nord réduisent de 30 % d’ici 10 ans leurs émissions de CO2. On induit par là que les modifications dans l’économie de ces pays sont des modifications de grande envergure, fondamentales même dans ses principaux secteurs, puisque les émissions de CO2 dans l’atmosphère sont causées par l’empreinte humaine sur les écosystèmes : à 25 % par les productions d’énergie (pétrole, gaz…), à 20 % par l’industrie, à 17 % par la forêt, à 13 % par l’agriculture, à 13 % par le transport, à 8 % par les bâtiments résidentiels et commerciaux et à 3 % par les déchets et eaux usées (chiffres du GIEC, 2004). Désormais, il faut prendre acte que certaines transitions peuvent être fatales étant donné le croisement des échéances : l’échéance climatique liée au seuil de réchauffement de la planète, l’échéance énergétique liée à l’épuisement des ressources pétrolières (et sa gestion spéculative) et l’échéance alimentaire liée à la remise au marché de la fixation des prix qui montent en flèche. Nous pouvons parler aujourd’hui de télescopage et de croisement des crises provoquant un saut qualitatif vers le pire.
Comment au Québec des communautés peuvent-elles agir sur cette question ? Comment se mobilisent-elles ? Dans le présent billet, je partirai de deux expériences que j’ai pu observer de près en analysant deux défis majeurs auxquels font et feront face de très nombreuses communautés au Québec dans la prochaine décennie : le défi du gaz de schiste et celui de l’aménagement durable des forêts. Défis majeurs parce qu’on sait qu’au plan écologique, les émissions de gaz à effet de serre joue pour 25% dans le cas des énergies fossiles et pour 17% dans le cas de la forêt. Peut-on vaincre la fatalité ressentie face à l’immensité de la tâche ? Certaines initiatives récentes démontrent que oui. Récit de deux expériences.
Une première stratégie innovatrice de développement local : mobilisation pour un moratoire sur le gaz de schiste
La revendication d’un moratoire sur le gaz de schiste ?
Le gaz de schiste, depuis un peu plus d’une décennie aux Etats-Unis (500,000 puits dans 37 états) et depuis peu ici, est considéré par l’industrie gazière et pétrolière et par les gouvernements, comme un véritable eldorado stratégique. Il constitue une véritable révolution sur la planète énergétique par ses techniques d’extraction du gaz naturel, une perforation du roc sur un kilomètre de profondeur et à l’horizontal sur la même distance, dans le shale d’Utica, lequel roc couvre une superficie de 10,000 km2. Plus précisément, des centaines de communautés le long de la Vallée du Saint-Laurent de Saint-Hyacinthe à Rimouski seront affectées par la mise en œuvre de 20,000 puits, la plupart en terre agricole [1] . Le hic c’est que la fracturation hydraulique pour aller chercher le gaz nécessite des milliers de litres d’eau à laquelle on a ajouté des centaines de produits chimiques dont on ne connaît pas la nature (et que les gazières ne veulent pas révéler).
J’étais en Montérégie, à 40 kilomètres de Montréal, au Pavillon Jordi-Bonet à Mont-Saint-Hilaire, au cœur de la mobilisation citoyenne sur le gaz de schiste, mobilisation qui fait la manchette depuis un peu plus d’un an. Cette fois, la rencontre n’est ni pour entendre les porte-parole des gazières et des minières mijoter leur acceptabilité sociale, ni pour consolider les comités de citoyens. Elle est convoquée pour revisiter l’enjeu avec un ingénieur en génie géologique et surtout pour engager une première réflexion sur les alternatives au gaz de schiste.
En ce beau samedi du 10 septembre, plus de 125 personnes s’étaient déplacées une journée entière au centre communautaire de la municipalité à l’invitation des regroupements de citoyens du secteur (Otterburn Park et Mont-Saint-Hilaire). La salle est gracieusement offerte par le maire de l’endroit, partisan du moratoire sur le gaz de schiste autant par conviction personnelle que par souci d’un développement durable de cette municipalité de 18,000 résidents située à flanc de montagne près de la rivière Richelieu, laquelle depuis quelques années, a pris le virage vert (prix d’excellence du Québec en développement durable et en environnement en 2008).
Pour rappel, faisons le tour de cette mobilisation des communautés dans la dernière année. L’assemblée citoyenne déterminante a été celle de Saint-Marc-sur-le-Richelieu au début de l’automne 2010 suite aux désormais fameuses rencontres publiques de l’Association des minières et gazières du Québec dans la région, notamment la dernière et mémorable rencontre de Saint-Hyacinthe à l’été 2010, celle qui fit perdre à Alain Caillé son poste de président de la dite association et qui amena Lucien Bouchard au poste de commande. Alain Caillé avait quitté la salle sans s’excuser personnellement. Nous étions 700 personnes ce soir-là à venir entendre sa version, la version principale de la soirée.
Pour revenir à nos moutons, l’assemblée de Saint-Marc aura été, on le constatera par la suite, le coup d’envoi d’un regroupement interrégional de 43 groupes pour toute la Vallée du Saint-Laurent, regroupement qui s’est mis en place en quelques mois seulement. Résultat en bout de piste : une première victoire par l’obtention d’audiences du BAPE et, dans les faits, un quasi-moratoire. Et le 18 juin dernier à Montréal, un point culminant : une manifestation évaluée à 7,000 personnes pour les uns et pour d’autres à 10,000 sans compter, en cours d’année, la mobilisation de 150 scientifiques qui appuient le mouvement [2].
Toujours est-il qu’à la rencontre du 10 septembre à Mont-Saint-Hilaire, le menu de la journée est plutôt costaud : les alternatives en matière de transports, l’éolien, la bio-méthanisation, le solaire, la géothermie. Deux interventions remarquées en matinée : celles de l’ingénieur en génie géologique Marc Durand et du sociologue Robert Laplante de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).
Le premier, professeur à la retraite de l’UQAM (au département des Sciences de la Terre), nous fait une démonstration : 20,000 puits le long de la Vallée du Saint-Laurent en perspective, tel est le plan des multinationales engagées dans ce dossier. 20,000 puits qui vont libérer du méthane même quand les puits seront fermés. La surprise est de taille. Elle manifeste le talon d’Achille de l’industrie : les 20,000 puits abandonnés, avec la corrosion qui s’annonce, vont continuer de faire migrer le méthane par les failles du roc, sans compter les défauts de fabrication des ouvrages toujours possibles qui feront augmenter les risques de fuite. Cela fait de ces puits, nous dit-il, une expérimentation à grande échelle. Et de conclure : ce serait une opportunité certes mais une opportunité de type farwest ! Parce que, ajoute-t-il, les entreprises ne sont capables de tirer de leur forage que 20% du gaz enfoui. Le 80% restant est une bombe à retardement car des émissions fugitives sont à redouter. Le méthane s’écoulera peu à peu parce qu’une partie de ce roc est perméable et que 20,000 forages l’auront rendu encore plus perméable. Quand on sait que ce gaz est 25 fois plus nocif que le CO2 une fois relâché dans l’atmosphère ! Or, jusqu’à maintenant du moins, les entreprises ne sont contraintes qu’à la restauration en surface. Déjà, 19 forages sur 29 relâchent du gaz dans l’atmosphère. C’est certes à géométrie variable mais il y en a au moins deux, à Leclercville et à La Présentation, qui auront nécessité des restaurations immédiates. C’est donc très mal parti et très à risque pour les communautés en termes de santé publique, en termes de contamination de terres agricoles, en termes de contrôle des communautés sur leur développement laissé dès lors à de grandes entreprises étrangères pour la plupart [3] .
En fait, de façon plus générale, c’est toute la géopolitique des énergies au Québec et dans le monde qui est redéfini. Des gouvernements avaient commencé à miser sur les énergies renouvelables comme alternatives au pétrole mais voilà que le gaz de schiste, bien qu’étant une énergie fossile, leur apparaît une « alternative » puisque, aux dires de l’industrie, il est moins polluant que le charbon, le mazout, le pétrole. La mobilisation citoyenne doit donc opérer un virage pour refaire pression sur les pouvoirs publics avec, cette fois-ci, une démonstration de la capacité des énergies renouvelables à répondre aux besoins énergétiques du Québec. Le défi n’est pas mince : il s’agit d’assurer l’indépendance énergétique du Québec en s’assurant de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
La recherche d’alternatives au gaz de schiste : l’amorce d’une nouvelle stratégie
C’est ici qu’entre en scène cette journée-là le directeur l’IREC et quelques autres conférenciers dont plusieurs sont des ingénieurs en exercice. D’entrée de jeu, Robert Laplante nous dit que les alternatives aux énergies fossiles ne manquent pas au Québec. Car le Québec est une société très bien positionnée pour faire un choix géopolitique semblable à celui de la Suède puisqu’il est déjà en mode d’énergies renouvelables à hauteur de 50% (38% par l’hydro-électricité, 12% par la biomasse). L’indépendance énergétique du Québec peut aller encore plus loin si est adoptée une stratégie offensive de transport collectif à l’échelle de tout le territoire. Scénario plausible : un monorail qui relie Montréal aux huit capitales régionales à partir des autoroutes existantes. Donc rien n’est à exproprier, ni les ménages, ni les terres agricoles. L’acceptabilité sociale d’un bout à l’autre du Québec est pratiquement sans problème majeur. De plus le Québec est un producteur de matériel de transport collectif. Coût de cette grappe industrielle : $7 milliards. Apport : 50,000 emplois à la carte. On imagine la force que peut procurer les échanges interrégionaux dans tous les registres : économique, social, culturel [4] .
Dans l’après-midi, exposés et discussions ont une approche plus régionale. Les participants auront surtout retenu la contribution de l’ingénieur Claude Gauthier, président de la Fondation jeunesse du Richelieu, qui nous fait le récit de l’expérience de mise sur pied d’un centre d’interprétation des énergies renouvelables dans une cour d’école de la municipalité de Richelieu, une véritable prise en charge par les parents et l’ensemble de la communauté. Un petit bijou d’éducation au développement durable des élèves : 4000 élèves ont visité ce centre dans les deux dernières années. Petit bijou également de mobilisation citoyenne écologique d’une communauté. On aura aussi retenu de cette journée l’expérience de trois MRC de la région (en Montérégie-Est) qui gère la matière résiduelle en provenance de la collecte des déchets par la bio-méthanisation. À l’exemple de la Suède, le biogaz, énergie verte, peut être une alternative au pétrole. Si on en venait à le produire à plus grande échelle, le biogaz pourrait alimenter en énergie toutes les flottes de taxis et d’autobus des municipalités du Québec.
Bref, une rencontre fort stimulante. On pouvait cependant déplorer une absence : les alternatives portées dans les cinq dernières années par une quinzaine de coopératives en énergies renouvelables. Pointe avancée de ces innovations coopératives, la coopérative de production d’énergie éolienne Val-Eo au Saguenay. Les passerelles entre ces deux mouvements restent à créer. Chose certaine, cette rencontre aura servi à démontrer qu’il est possible pour un mouvement de revendication de ne pas se centrer uniquement sur une stratégie défensive et de réfléchir en termes d’alternatives ici et maintenant. Plus ces dernières progresseront, plus la preuve sera faite qu’au Québec, un moratoire sur le gaz de schiste ne suffit pas, qu’il ne convient même pas de la développer sachant que notre indépendance énergétique peut, de façon très pratique, passer par les énergies renouvelables. Comme le disait un agriculteur albertain au journaliste du journal Le coopérateur agricole qui faisait enquête cet été sur ce dossier : « Avez-vous vraiment besoin de cette énergie ? » En Alberta, plusieurs communautés expérimentent la démarche far west du gaz de schiste sans compter celle des sables bitumineux. Ces communautés n’apprécient pas !
Une seconde stratégie de développement local : le virage écologique des coopératives forestières
En avril 2009, il y a deux ans, j’étais invité comme conférencier au congrès de la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF). On m’avait invité à parler du mouvement coopératif, mouvement sur lequel je fais des travaux de recherche depuis un bon nombre d’années déjà, pas pour mes connaissances sur le secteur forestier. Mais comme j’aime bien savoir à qui j’ai affaire pour leur parler à eux et non à un public anonyme, j’ai plongé dans cet univers en lisant quantité d’articles pendant les six mois qui ont précédé le congrès et interrogé quelques ingénieurs forestiers. J’ai aussi, pendant toute la journée qui a précédé le congrès lui-même, participé à un avant-midi de formation sur les matériaux de construction et à une autre demi-journée d’information sur ce que font les coopératives de ce secteur.
J’y ai découvert de véritables innovations coopératives en matière de conversion écologique de l’économie dans nombre de communautés forestières. En fait si on examine les orientations de la Fédération qui regroupe ces coopératives forestières, il s’est opéré un virage majeur vers la filière énergétique et plus spécifiquement vers la biomasse forestière, étant entendu que la FQCF « milite pour une stratégie d’aménagement durable des forêts basée sur une approche écosystémique » [5]. Voici brièvement comment les choses se présentent.
La Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF) regroupe 38 coopératives de travailleurs du secteur forestier. Ces coopératives emploient plus de 3000 personnes et réalisent un chiffre d’affaires annuel de près de 225 millions de dollars. Elles sont engagées dans tous les secteurs de l’industrie : production de plants en pépinière, sylviculture, récolte et transformation. Fortes de leur expertise, les coopératives développent de nouvelles activités, dont l’utilisation de produits forestiers non ligneux et de la biomasse forestière à des fins énergétiques. La biomasse forestière est constituée de tous les végétaux d’une forêt : arbres, plantes, arbustes et feuillages. Sur le plan énergétique, toutefois, les différents intervenants s’intéressent surtout aux résidus de coupe forestière qui sont habituellement laissés en forêt lors de la récolte du bois à valeur commerciale. Parfois aussi, on produit de la biomasse en plantant des arbres à croissance rapide (peupliers ou saules) qui seront récoltés quelques années plus tard. En vertu de ses propriétés physiques, la biomasse forestière peut remplacer les combustibles fossiles.
car cette dernière est considérée comme neutre en carbone et son utilisation en tant que source d’énergie permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Or les coopératives forestières et leurs partenaires (communautés autochtones, organismes municipaux qui gèrent des forêts, etc.) ont obtenu récemment l’attribution de 30 % du volume des forêts publiques du Québec soit un potentiel de plusieurs dizaines de milliers de tonnes de biomasse forestière [6]. Parallèlement, depuis trois ans, la FQCF déploie une stratégie afin de chauffer les bâtiments institutionnels à l’aide de la biomasse forestière. En 2007, la FQCF a présenté au gouvernement et à l’Agence de l’efficacité énergétique, un projet de valorisation de la biomasse forestière visant la maximisation des retombées économiques pour les régions du Québec.
D’ici 2013, la FQCF souhaite réaliser de 350 à 400 projets de chaufferie, créer 920 emplois, en plus de consolider les emplois actuels dans les coopératives forestières. Déjà, une douzaine de coopératives sont engagées dans des projets avec leurs établissements locaux. La première chaufferie conçue pour être alimentée à la biomasse forestière a d’ailleurs été inaugurée à l’hôpital d’Amqui, en Gaspésie, fin 2009. Le développement de cette filière permettra non seulement d’améliorer le bilan écologique, mais aussi de consolider les communautés locales, car les retombées des activités économiques de ces coopératives y sont entièrement réinvesties, contrairement aux profits des multinationales [7].
À mon avis, dans le secteur de la forêt, ce que la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF) est en train de faire constitue une véritable expérience de conversion écologique de notre économie en forêt, conversion qui, reportée sur l’ensemble de l’économie, constitue un axe majeur d’un projet de société porté par l’économie coopérative, sociale et solidaire, projet qui devrait aussi être porté par l’ensemble des mouvements sociaux et des communautés mobilisées.
En guise de conclusion : faire mouvement par une action politique fédérative
Retenons d’abord de ces deux stratégies de développement local ce qui les distingue mais ne les oppose pas. La première mise sur l’organisation d’une revendication, la défense du droit des communautés à contrôler ses ressources, la création d’alliances entre comités de citoyens, groupes écologiques et municipalités progressistes. La seconde cherche à construire une alternative dès maintenant par des entreprises coopératives, soutient la création d’emplois et est génératrice de revenus, fait émerger des partenariats entre coopératives et institutions publiques locales tout en favorisant dès maintenant le contrôle des ressources locales. Les deux peuvent et doivent se rejoindre dans une action plus large et faire cause commune. Il y a là tout un chantier à ouvrir, celui d’une action politique propre aux mouvements sociaux.
Ces réponses inédites de communautés locales, tant sur le gaz de schiste que dans l’aménagement forestier, ne suffiront pas à elles seules à faire avancer le dossier de l’urgence écologique. C’est cependant sur cette base et dans cette direction, que se trace la voie d’une stratégie d’action politique générale et fédérative entre mouvements pour peser sur les politiques publiques afin de répondre à cette urgence écologique. À cet effet, partant de ce type d’expériences et des réflexions qu’elles suscitent, quelques propositions générales, commencent à émerger dans le débat public :
- Il est nécessaire, aujourd’hui encore plus qu’hier, d’exercer une présence forte dans l’espace public et des prises de position sur des questions de société qui dépassent les revendications actuelles d’organisations trop souvent centrées sur la seule défense de leurs membres.
- Il faut également favoriser l’échange d’expériences à l’échelle mondiale, de manière à donner à ces réseaux, les outils nécessaires au développement de projets transnationaux. L’internationalisation de ces pratiques doit être multipliée.
- Plus globalement, il faut faire mouvement, dans la prochaine décennie, entre organisations (syndicales, écologiques, paysannes, coopératives…) pour instaurer un débat permanent autour d’une plate-forme commune de propositions sociales, économiques et écologiques dans la mouvance notamment de la grande rencontre internationale que sera le Sommet de la Terre en 2012 (RIO+20).
- Il faut solliciter les États pour que soit mise en priorité, par une écofiscalité appropriée, la conversion écologique de nos économies dans l’habitat (efficacité énergétique) et dans le transport (collectif et public).
- Il faut inviter ces mêmes États à miser en priorité sur les énergies renouvelables (l’éolien, la biomasse, le solaire, le géothermique…) et le retrait, sinon le contrôle serré, de l’exploitation des énergies fossiles (gaz de schiste, pétrole…).
- Il faut des politiques de soutien à une agriculture écologiquement intensive et à un aménagement intégré et durable des forêts, politiques arrimées aux organisations de producteurs agricoles et aux coopératives agricoles et forestières qui innovent dans ces domaines (biomasse, reforestation…).
- Il faut miser sur des institutions internationales et des États qui appuient résolument le droit des peuples à la souveraineté alimentaire en sortant l’agriculture et la forêt des règles internationales du « tout au marché » dont elles sont prisonnières.
- Il faut revendiquer que les États contraignent toutes les entreprises (publiques, marchandes, collectives) à rendre compte non seulement de leur création de richesses au plan économique mais aussi de leur utilité sociale et de leur empreinte écologique.
- Il faut enfin poursuivre le travail de recherche permettant de mettre en place de nouveaux indicateurs de richesse et généraliser le recours à des outils d’évaluation de la « performance », non plus restreinte aux seuls apports économiques, mais valorisant également la valeur sociale et environnementale de leurs initiatives.
Ce type de plate-forme ou de cahier de propositions cheminent dans certaines organisations du Québec (Caisse d’économie solidaire Desjardins, Fondaction, Groupe d’économie solidaire du Québec…) et dans certaines organisations internationales comme le Forum international des dirigeants de l’économie sociale (les Rencontres du Mont-Blanc). Ces idées-là vont sans doute faire leur chemin dans un bon nombre d’organisations de coopération internationale (OCI), à l’Alliance coopérative internationale (ACI) ou à la Confédération syndicale internationale (CSI) de même que dans les organisations paysannes internationales. Pour un peu ces idées pourraient aussi, ici au Québec, faire leur chemin dans les partis politiques progressistes, au cours des prochaines élections. Dossier à suivre.
Pour en savoir plus : quelques références utiles
Capitalisme et sorties de crise du capitalisme
Kempf, H. (2009), Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil, Paris.
Favreau, L. et E. Molina (2011), Économie et société. Pistes de sortie de crise. PUQ, Québec.
Économie, écologie et développement durable des communautés
Gadrey, J. (2010). Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Paris, Éd. Les petits matins.
Lipietz, A. (2009), Face à la crise, l’urgence écologiste, Ed. Textuel, Paris.
Touzard, J.-M. et J-F Draperi (2003). Les coopératives entre territoires et mondialisation. L’Harmattan, Paris.
[1] Voir Mesly, N. (2011), Le gaz de la discorde. Un excellent tour de jardin d’une dizaine de pages par la revue de la Coopérative fédérée, le Coopérateur agricole, vol.40, numéro 6, juillet-août.
[2] Pour en savoir plus long sur cette mobilisation citoyenne (points forts et points faibles), voir Batellier, P. et L.Sauvé (2011), « La mobilisation des citoyens autour du gaz de schiste au Québec : les leçons à tirer », revue Gestion, vol.36, numéro 2, p.49 à 58.
[3] Pour une analyse socio-économique pointue et serrée de la question, voir une Note de recherche de l’IRIS sur la question : Gaz de schiste : une filière écologique et profitable pour le Québec ?, février 2011, 12 pages. Par B. Shepper, L.Handal et P.Hébert. http://www.iris-recherche.qc.ca/publications/gaz_de_schiste_une_filiere_ecologique
[4] Pour en savoir plus, voir sur le site de l’IREC un document bien ficelé d’une centaine de pages dont l’intitulé est « L’électrification du transport collectif, un pas vers l’indépendance énergétique… ». http://www.irec.net/upload/File/electrificationtransportdec2010.pdf
[5] Pour un récit détaillé de la démarche de la FQCF à ce propos, voir le travail de l’historienne, Pascale Ryan, dans un ouvrage paru début 2011 dont l’intitulé est Un réseau à la défense des intérêts des coopératives forestières, ARUC-DTC et FQCF, Québec.
[6] Pour faire une histoire courte, rappelons qu’une loi sur l’aménagement durable du territoire forestier a été votée en avril 2010 et entrera en vigueur en avril 2013. Malgré toutes ses ambiguïtés, elle ouvre la porte aux communautés pour gérer elles-mêmes un portion du territoire à partir du concept de « forêt de proximité ». La FQFC veut pénétrer la brèche qui a ainsi été ouverte.
[7] Mentionnons ici l’excellent document de travail produit par le CQCM en collaboration avec Nature Québec (2001) Biocarburants ou bioénergies ? Vers une solution coopérative. Outil de décision éclairée, CQCM, Lévis, 45 pages.
Louis Favreau
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Développement des communautés et crise écologique : des mobilisations inédites20 octobre 2011, par Marie-Joëlle Brassard
C’est bon pour les propositions. On doit donc intégrer ces enjeux dans un "Consortium de recherche-action" qui réunira les chercheurs et les acteurs (Fondaction, GESQ, ACLDQ, RSADC, FQM, IRÉC, La Coop fédérée, la fédération des coopératives forestières, etc.)sur les enjeux liés à la conversion écologique de l’économie donc : forêt - agriculture intensive écologique et agriculture bio de proximité - eau - vent - bref... consortium de recherche intégrant le "contrôle des ressources naturelles en lien à la conversion écologique de l’économie". 2. il faut aussi considérer les changements démographiques à notre porte vs réponses coopératives aux besoins (crise de l’État social) et insister sur la nécessité d’une conversion de l’État pour soutenir les besoins changeants liés à la crise démographique. Finalement, il faut que tout change "ensemble".