Carnet de Louis Favreau
Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC)

Agriculture familiale et solidarité internationale avec organisations paysannes au Sud : l’expérience de l’UPA DI (2)

mardi 14 mai 2013 par Louis Favreau

2013 est l’année du 20e anniversaire d’UPA Développement international. 2013 est aussi l’année de la 7e édition de l’Université d’été du GESQ qui portera sur les défis de développement durable en matière d’agriculture et d’alimentation et 2014 sera, par résolution de l’ONU, l’année internationale de l’agriculture familiale. La question alimentaire, dans sa dimension planétaire, est plus que jamais à l’ordre du jour. Thème de ce billet : l’expérience de partenariat de l’UPA DI avec des organisations paysannes au Sud. Suite de mon premier billet et de l’entrevue [1] avec le secrétaire général de l’organisation, André Beaudoin, agriculteur de profession.

Introduction

En 1993, l’Union des producteurs agricoles (UPA) crée l’UPA Développement international (UPA DI), cette dernière pratiquant depuis 20 ans une coopération de paysans à paysans avec une bonne trentaine d’organisations d’une quinzaine de pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Dans une perspective de développement durable et d’agriculture viable, elle soutient des organisations paysannes en valorisant en priorité l’indispensable commercialisation collective des produits agricoles qui leur font trop souvent défaut. L’UPA, grâce au travail de l’UPA DI, vient tout juste de signer une entente avec la FAO, faisant de l’UPA, un partenaire officiel de l’ONU sur des projets internationaux destinés à combattre la faim par l’intermédiaire d’organisations paysannes fortes. « C’est notamment l’enjeu du stockage de produits agricoles pour assurer la sécurité alimentaire dans les pays du Sud qui a fait la différence au moment des crises » nous dit André Beaudoin, secrétaire général de l’UPA DI.

Mentionnons qu’André Beaudoin est aussi secrétaire général du GESQ, lequel a amorcé cette année une réflexion qui s’approfondit sur la question alimentaire : après l’Université d’été en 2010 en Estrie, une autre Université d’été du GESQ se réalisera les 23 et 24 mai prochain. Cette fois-ci les défis du développement durable sont plus présents que jamais de même que le rôle des organisations paysannes dans le monde. On peut voir le programme et s’y inscrire en allant sur le site de l’organisation. On pourra également lire un cahier spécial du journal Le Devoir sur ce thème produit en collaboration avec le GESQ le 22 mai prochain.

Sujets traités : 1) le travail à l’échelle de plusieurs pays à la fois : l’expérience du ROPPA en Afrique de l’Ouest ; 2) l’action transnationale contre la libéralisation des marchés à l’échelle de la planète ; 3) le virage écologique à l’UPA DI ; 4) l’enjeu alimentaire : une question secondaire ?

Entrevue (suite)

À l’UPA DI, le travail a changé d’échelle dans la dernière décennie.

Louis Favreau

UPA DI ne travaille pas seulement à l’échelle des communautés et des organisations paysannes d’un pays. Vous avez dans votre histoire une expérience de travail avec le ROPPA, une organisation paysanne travaillant à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest. En quoi consiste-t-elle ? Ce n’est certainement pas un hasard dans la mesure où la pauvreté des paysans est fortement liée à une forte asymétrie entre, d’un côté, des agriculteurs relativement dispersés et de petite taille dans des pays souvent relativement instables politiquement et, de l’autre, les géants du secteur qui sont de plus en plus concentrés. Encore faut-il en être conscient et tenter de développer le rapport de forces qui s’impose dans les circonstances ! Comment cette prise de conscience a-t-elle pris forme dans ces pays au sein de leur organisation paysanne respective ?

André Beaudoin

Mamadou Cissokho, un pionnier des luttes paysannes africaines, président d’honneur du ROPPA

Précisons d’abord que le ROPPA, le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest, s’est organisé à partir du Burkina-Faso, de la Guinée-Conakry, du Mali et du Sénégal. Précisons ensuite, question de nous mettre en contexte, que dans les pays du Nord comme au Québec et au Canada, le rapport de force des agriculteurs est surtout économique. Nous n’avons plus le poids du nombre. C’est ce que l’agriculture représente au plan économique qui compte d’abord. Tandis que dans les pays du Sud, l’effet du nombre fait craindre les gouvernements africains. Rétrospectivement, pour ce qui est de l’UPA DI, disons bien honnêtement que nous avons boudé pendant une dizaine d’années les initiatives de caractère fédératif, jugées trop distrayantes par rapport au travail auprès des organisations paysannes locales. Notre priorité, c’était le soutien à l’organisation de services agricoles dans les communautés. Le tournant a commencé à prendre forme à la fin des années 1990 au moment où les pays du Sahel étaient aux prises avec une importante sècheresse. On s’est alors rendu compte de l’importance objective d’une organisation à l’échelle de plusieurs pays (l’Afrique de l’Ouest) et donc de la nécessité de développer une capacité politique des leaders paysans à cette échelle. On a donc commencé à travailler dans deux directions plutôt qu’une : par le haut avec le ROPPA où c’est très politique et par le bas dans le développement des services où c’est davantage économique. Les deux registres demeureront cependant séparés un bon moment.

La construction de marchés régionaux de biens et de services
C’est l’observation de ce qui marche et de ce qui ne marche pas qui justifie l’option pour la construction de marchés régionaux de biens et de services. Les économies performantes et résilientes reposent en premier sur un marché assez large où l’offre locale de biens et de services essentiels répond à une demande solvable grâce aux revenus distribués. Ces économies échangent entre elles des biens et des services de même nature. La construction d’un tel marché amène bien sûr à préconiser le développement des infrastructures de transport et de marchés. Elle implique également la nécessité d’imaginer et de mettre en place des régulations, par exemple par une fiscalité équitable, incitative et redistributive pour soutenir la demande et les investissements productifs. Cette construction est également une autre façon d’introduire les rôles respectifs du public et du privé déjà mentionnés. On serait tenté de retenir après ces propos trois points :

  • La fracture agricole ne passe pas forcément là où on le dit.
  • Le paradigme du développement durable, dans ses dimensions techniques, économiques, sociales et environnementales, est pertinent pour l’identification des problèmes et l’organisation de la coopération scientifique.
  • Un modèle possible de développement durable est de combiner la modernisation de l’agriculture familiale avec la construction de marchés régionaux.



Source : ROPPA et UPA DI (2009), Entre fracture agricole et désordre alimentaire. Le choix de la souveraineté alimentaire. Collection Terres humaines, numéro 4, janvier 2009 p.63.

C’est la plus vieille organisation agricole du Sénégal, le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) qui a compris la première qu’il fallait non seulement développer des activités économiques très proches du terrain (avec sa filière ASTRODEMA) mais aussi au plan de l’intérêt général (régional et national) dans le registre politique par delà ses fédérations spécialisées (le CNCR a 26 fédérations sectorielles : pêcheurs, éleveurs, horticulteurs, exploitants forestiers, producteurs maraîchers, producteurs de coton...). Aujourd’hui les deux registres autrefois séparés se rapprochent de telle sorte que UPA DI travaille à la consolidation des activités économiques du ROPPA par l’intermédiaire du FIDA, le fonds international pour le développement de l’agriculture de la FAO. Le Programme alimentaire mondial, le PAMde son côté soutient les paysans les plus démunis.

L’absence de politique agricole en Afrique de l’Ouest.

Louis Favreau

Depuis plus de 30 ans, avec un régime qu’on peut qualifier de « libéral-productiviste » (fondé sur des politiques néolibérales) est venue l’absence de politique agricole en Afrique de l’Ouest. Comment caractériser toute cette période et comment se déploient alors les organisations paysannes dans leur action transnationale ?

André Beaudoin

Comment peut-on expliquer cette absence de politique agricole dans des pays du Sud principalement fondés sur l’agriculture ? En premier lieu, dans les années 1980-1990 il y a un premier choc, celui de la « révolution verte » asiatique. Pour la première fois, on fait des avancées spectaculaires sur le plan technique et un certain nombre d’agriculteurs livrent quelques excédents. Et on sort du « national » car les marchés se libéralisent. La théorie du gouvernement Thatcher et d’autres de la même espèce est la suivante : en libéralisant les marchés, on pense pouvoir nourrir le monde. Le banc d’essai, c’est la « révolution verte » en Asie. Résultat, les mécanismes traditionnels de sécurité alimentaire nationaux sont brisés. Évidemment, c’est certes plus simple d’envoyer du blé canadien en Afrique que de soutenir le commerce de produits agricoles d’un pays d’Afrique avec un autre pays d’Afrique. Au niveau canadien, nous sommes à cette époque à l’opposé de ce qui se passe au même moment au Québec car UPA DI tient le discours que la défense de l’agriculture familiale dans les pays du Sud, c’est défendre la nôtre. Ce qui a de la résonance dans l’ensemble du mouvement.

En second lieu, fin des années 1990, grosso modo, à partir de 1996, c’est l’OMC qui intervient comme on l’a vu dans le premier entretien que nous avons fait ensemble. Face à la menace qui plane sur le développement de l’agriculture dans le monde, c’est-à-dire l’accélération de la libéralisation des marchés de par le monde, la Fédération internationale des producteurs agricoles (FIPA), sorte de « club social » d’organisations de producteurs agricoles de pays du Nord branchées sur la sécurité alimentaire, se laisse convaincre de s’ouvrir à des organisations du Sud tandis que la FAO met l’accent sur la sécurité alimentaire.

Via Campesina, née en 1993 au Brésil, qui commence à être influente au pan international grâce au Forum social mondial (FSM) dit Non ! La sécurité alimentaire ne suffit pas, il faut préconiser la souveraineté alimentaire. Au sein de la FIPA, la question de la souveraineté alimentaire introduit une zone de tension entre le Nord et le Sud, entre le Sénégal et l’Australie par exemple. La FIPA ne résistera finalement pas à ce pluralisme des points de vue qui se pointent dans l’organisation. La FIPA s’effondre en 2010 d’autant plus qu’AgriCord qui avait été jusque là un important financeur soutenant les organisations du Sud cesse son financement. L’Organisation mondiale des agriculteurs (OMA) qui la remplace est encore malheureusement assez loin d’avoir résolu le problème des rapports Nord-Sud au sein du mouvement international des agriculteurs. Le problème reste entier. Au plan international, on a donc aujourd’hui perdu un momentum et, en matière de réciprocité entre le Nord et le Sud, l’organisation des paysans à l’échelle internationale a probablement reculé de plusieurs années si on prend l’ensemble des réseaux et organisations construits dans l’après-guerre. Et il n’y a pas de signes tangibles que Via Campesina jouera ce rôle. Bref, nous vivons, à mon avis, un creux de vague, un passage à vide sur cet enjeu. Probablement pour un bon moment ! Mais l’avenir n’est pas bouché et repose notamment sur la construction de regroupements paysans au Sud qui soient transnationaux par sous-régions de continents comme, par exemple, le ROPPA pour la sous-région Afrique de l’Ouest sur le continent africain. C’est clair ici qu’il existe une véritable fracture entre la petite paysannerie du Sud et la grande entreprise agricole modèle USA par exemple. Le monde agricole américain est d’ailleurs toujours absent de toutes ces rencontres et réseaux internationaux. Le processus pour faire face à cet enjeu sera long.

L’Organisation mondiale des agriculteurs (OMA) remplace la FIPA
Destinée à combler le vide laissé par la mise en liquidation judiciaire de la FIPA (Fédération internationale des producteurs agricoles), en novembre 2010, l’Organisation mondiale des agriculteurs a été lancée le 29 mars à Bruxelles lors d’une réunion à laquelle participaient les représentants de plus de quarante pays. Les délégués de plus de cinquante organisations d’agriculteurs et coopératives de tous les continents, réunis au siège du Copa-Cogeca, ont créé l’Organisation mondiale des agriculteurs, dont ils ont fixé les objectifs dans une déclaration d’une page. Ce texte souligne qu’une plus grande contribution entre les représentants professionnels du monde entier peut « contribuer à la sécurité alimentaire mondiale » et que les investissements dans le secteur agricole doivent être intensifiés. « Il s’agit d’une occasion historique. Alors que la volatilité sur les marchés et la sécurité alimentaire suscitent de plus en plus d’inquiétudes, la nouvelle organisation réunira les agriculteurs et les coopératives agricoles du monde entier afin d’échanger des idées et de trouver des solutions communes », a commenté Doug Taylor-Freeme, président de la Confédération sud-africaine des syndicats agricoles (Sacau). L’Organisation mondiale des agriculteurs sera localisée à Rome afin de « forger de bons contacts avec la FAO », a expliqué Ron Bonnett, le président de la Fédération canadienne de l’agriculture (CFA).
La Dépêche, France, 7 avril 2011.

Finalement, la rencontre de l’OMC à Cancun en 1999 est freinée dans ses avancées néolibérales. Elle échoue à imposer ces nouvelles politiques parce qu’un grand nombre d’organisations paysannes des pays en développement – soutenues par des ONG agricoles du Nord - se refusent à endosser cette libéralisation des marchés qui tuent leurs marchés nationaux. Le cas du Cameroun dont la production du poulet a été complètement laminée est souvent cité comme exemple des effets désastreux de la politique qu’annonçait l’OMC.

Un des effets indirects sera que plusieurs gouvernements du Nord considèrent dès lors que les ONG de leur pays respectif travaillant dans le Sud leur nuisent. On commence donc à couper les fonds, notamment ceux destinés à la sensibilisation de l’opinion publique. Puis on avance l’idée d’une efficacité de l’aide au développement et une autre idée, celle de la reprise de l’aide surtout entre États, le tout combiné évidemment aux objectifs humanitaires des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). La principale leçon que nous avons tiré de tout çà à l’UPA DI, c’est qu’il fallait désormais faire de la formation en matière de commerce de concert avec les organisations paysannes avec lesquelles nous étions en train de travailler.

Mais il fallait aussi convaincre notre propre organisation, l’UPA, de l’internationalisation en cours de l’agriculture. Comme je l’ai souvent dit à cette époque : Dans les années 1960-70, les politiques agricoles, c’était à Québec que çà se décidait. Dans les années 1980-1990, c’était surtout à Ottawa. À partir des années 2000, c’est plutôt à Genève que çà se passe, c’est-à-dire à l’OMC. UPA DI finit donc par rallier UPA et la Coalition GO5 à ce diagnostic d’internationalisation. C’est aussi à cette période que UPA DI obtient vraiment ses lettres de créance auprès de l’ensemble des composantes du mouvement des agriculteurs québécois.

On a donc travaillé à réunir des leaders agricoles de sept (7) pays à raison de cinq ou six par pays pour un groupe de 35 dirigeants environ : séminaire de trois jours, une fois l’an pendant cinq ans. Après nous avons fait un suivi par pays (l’ACDI de l’époque a financé çà !). Pour cette formation, nous avons fait venir des conférenciers de haut niveau y compris de l’OMC. Les retombées ont été fort significatives : 1) premier constat des leaders paysans présents : « ils n’en savent pas plus que nous » ; 2) deuxième considération : des complicités entre leaders paysans des pays représentés se tissent. Elles durent encore aujourd’hui.

De telle sorte qu’en 2005, à Hong Kong, au congrès de l’OMC le Canada va réunir 200 personnes dont 60 délégués dûment accrédités. L’OMC, à la rencontre de 2005, a encore perdu des plumes. Par contre les organisations paysannes y ont vu plus clair : « On n’arrivera pas à nos fins dans le cadre de l’OMC. Construisons des ententes bilatérales ».

L’autre joueur majeur a été la Banque mondiale. En 2007, elle finit par concéder que l’agriculture familiale est déterminante dans la réduction de la pauvreté et l’alimentation pour tous (voir le dossier hors-série de la revue Alternatives internationales, numéro 6, décembre 2008). Changement de paradigme, littéralement ! Mais arrive la crise alimentaire de 2008. Les « traders » spéculent en bourse et favorisent l’augmentation des produits de première nécessité comme les céréales. Le tout combiné à la crise énergétique et à l’augmentation des prix du pétrole. Dès lors les pays détenteurs de stocks arrêtent la libre circulation des marchandises hors frontière. C’est le cas de l’Argentine pour n’en nommer qu’un.

Et comme le PAM ne faisait pas de dons en nature mais des chèques basés sur le prix des céréales des cinq dernières années, cela a représenté 25 à 30% de moins en aide réelle. Point névralgique de notre expérience avec des organisations paysannes : ces organisations ont des stocks. L’ONU, dans sa tournée des organisations paysannes que nous leur faisons faire, découvre alors toute la pertinence de cette stratégie et l’importance des organisations qui en sont les porteuses. Quand on pense que 70% du riz dans le monde est produit par de petits paysans (qui ont moins d’un hectare), bref que 70% de la production mondiale de riz est le fruit de l’agriculture familiale, l’enjeu devient alors de soutenir des systèmes collectifs de mise en marché permettant à de petits exploitants de dégager des surplus et donc de sortir d’une économie exclusivement de subsistance.

Le virage écologique de l’agriculture : le tournant d’UPA DI

Louis Favreau

Le défi de la transition écologique de l’agriculture est désormais posé avec beaucoup plus de force compte tenu de désastres de moins en moins « naturels » et de plus en plus extrêmes qui frappent en premier lieu les paysans eux-mêmes et le milieu rural en général. Compte tenu également de l’échec des États à s’entendre sur les réponses à donner à la menace du réchauffement climatique. Exemples de transition écologique de l’agriculture à mettre de l’avant : interdire la déforestation ; protéger les cours d’eau avec des plantations ; traiter les eaux usées et trier les déchets ; cultiver en terrasses pour éviter l’érosion, la dégradation des sols ; ne pas utiliser ou utiliser le moins possible de pesticides ; utiliser des engrais organiques, etc. Où en est l’UPA DI sur cette question ?

André Beaudoin
L’agriculture durable, l’agriculture écologiquement intensive et la résilience climatique nous ont fortement interpelé pour la première fois dans le cadre de notre expérience en Haïti. Notre premier tournant se prend en 2009 dans la région de Labrousse. On obtient $1 million sur trois ans de l’ACDI pour soutenir une agriculture viable et durable en Haïti. L’agriculture de la région est complètement fragmentée. Chacun cultive son bout de terre. C’est aussi une culture en terrasse mais avec un problème majeur, celui de l’irrigation des terres. C’est là-dessus que nous travaillons avec les organisations paysannes locales.

Haïti : des terrasses pour protéger l’eau et le sol
En novembre dernier, les paysannes et paysans de Lozier se mobilisaient pour gérer collectivement les ressources naturelles de leur communauté, choisissant de protéger une source d’approvisionnement en eau potable. D’une superficie de 23 hectares, la zone ciblée est caractérisée par un déboisement excessif, des pentes raides et un niveau d’érosion élevé. Les travaux ont été entrepris en février dernier après une formation impliquant la communauté dans la préparation d’un plan d’aménagement.

Des haies ont d’abord été plantées suivant les courbes de niveau. Trois espèces végétales ont été retenues :

  • la canne à sucre, dont le système racinaire stabilise le sol ;
  • le leucaena, qui contribue à améliorer la fertilité en fixant naturellement l’azote, en plus de fournir du fourrage ;
  • l’herbe éléphant, qui stabilise le sol et sert également de fourrage.



Prochainement, des terrasses en escalier seront construites sur une superficie de deux hectares. Elles seront irriguées afin de permettre une production continue, même en saison sèche. Des paysans y pratiqueront collectivement et de façon intensive la culture maraîchère, générant des bénéfices importants pour la communauté. On imagine déjà une commercialisation collective avec les sept zones où de tels projets sont entrepris. Cette initiative est la première de sept semblables, qui se déploient présentement dans le cadre d’un projet réalisé par UPA DI en collaboration avec son partenaire local, la Fondation pour le développement économique et social (FODES-5). Dans tous les cas, l’approche par bassin versant est préconisée et la mobilisation des populations locales constitue une priorité. Au total, c’est 173 hectares qui seront ainsi aménagés avec, par et pour les paysans.

Extraits de la Chronique d’UPA DI dans La Terre de chez nous, Michel Gendreau, 10e chronique.

Dans la crise globale actuelle, la crise alimentaire n’est plus une question secondaire

Note d’analyse de Louis Favreau

La crise alimentaire, quand on réfléchit à partir de l’expérience d’UPA DI sur 20 ans, se révèle une question clé tant au plan social qu’au plan économique et écologique. La question qui tue, bien posée par le secrétaire général de l’UPA DI, André Beaudoin : pourquoi y a-t-il eu des émeutes alimentaires un peu partout à travers le monde en 2008 ? En effet 37 pays ont été menacés de crise alimentaire cette année-là selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Un peu partout dans le monde, le prix de l’essence a monté en flèche et celui de certaines denrées alimentaires a explosé, notamment celui des céréales. Et pour nombre de pays du Sud, cela risque d’être encore pire dans les années qui viennent parce qu’aucune réforme de portée internationale n’a été annoncée nulle part pour pallier à ce type de crise. Pourquoi cette crise est-elle si importante ?

D’abord parce que la crise alimentaire a le défi de nourrir les 7 milliards de personnes que nous sommes sur la planète. Et que cela va de pair avec la question énergétique et le réchauffement climatique. Des enjeux tout à la fois locaux et internationaux devenus majeurs aujourd’hui. Ensuite, parce que dans ce secteur, de puissantes multinationales y font la pluie et le beau temps. Peut-on laisser à ces dernières la responsabilité de nourrir la planète. De plus, les principaux gouvernements des pays du Nord, États-Unis en tête, de même que la Chine et le Brésil au Sud ne font pratiquement rien pour modifier les choses.

C’est une menace pour de nombreux pays du Sud dont l’agriculture nationale a été orientée vers l’exportation mettant du coup à mal la diversité de leurs produits et la biodiversité de leurs terres, effets de la monoculture qui leur a été imposée. Menace aussi pour les agricultures nationales étant donné la géopolitique de la production agricole sur la planète concentrée autour de quelques grands pôles d’agriculture industrielle. Le contrôle par les transformateurs et les grandes chaînes alimentaires risque également de s’accentuer. Menace également de la montée du prix du pétrole qui rend le transport des marchandises plus aléatoire. Menace écologique enfin sur l’irrigation des terres par défaut d’accès suffisant à l’eau. Autrement dit, derrière cette hausse des prix, des changements structurels dans la mauvaise direction sont en cours.

Tout cela tient au fait que l’agriculture et la filière alimentaire subissent, tendanciellement, le même traitement industriel et financier que les autres activités économiques : de grandes firmes multinationales pour assurer l’agrofourniture (Monsanto, Bunge, Sugenta, ADM, Dupont, etc,) ; de grandes firmes multinationales pour la transformation agroalimentaire (Nestlé, Coca-Cola, General Mills, Kraft Foods, Unilever, Smithfield Food, etc.) ; de grandes firmes multinationales pour la grande distribution de masse (Walmart, Carrefour, Tesco, etc.). Le tout dans un marché de plus en plus international mais avec peu ou pas de protections sociales pour les paysans comme pour les travailleurs de ce secteur.

En guise de conclusion provisoire

Les politiques des grandes institutions internationales peuvent-elles favoriser la protection de l’agriculture du Sud et contrer la concurrence internationale, l’aider à reconquérir son marché intérieur et faire avancer le principe d’une souveraineté alimentaire adossée à une stratégie qui met un holà aux importations agricoles. Le Réseau des organisations paysannes et des producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), appuyé par UPA DI, va dans cette direction. Mais pour y arriver, il faut également des politiques agricoles de la part des États du Sud qui aient des dents. L’influence des organisations paysannes et coopératives auprès des pouvoirs publics pourrait à ce titre être déterminante.

Dans cette perspective, le document d’orientation du Forum international des Rencontres du Mont-Blanc élaboré à Chamonix en novembre 2011 et la Lettre aux chefs d’État et à leurs gouvernements qui en a découlé faisaient valoir dans le cadre de Rio+20 en juin 2012 deux nécessités en matière d’agriculture et d’alimentation :

1) Il faut construire et mettre en œuvre des politiques de soutien à une « agriculture écologiquement intensive » et à un aménagement intégré des forêts qui s’arrimeraient aux organisations paysannes et aux coopératives agricoles et forestières qui innovent dans ces domaines (biomasse, reforestation…) (Proposition 16) ;
2) Il faut appuyer résolument, de concert avec les institutions internationales le droit des peuples à la souveraineté alimentaire en sortant l’agriculture et la forêt des règles internationales du « tout au marché » dont elles sont prisonnières. (Proposition 17)

Rencontres du Mont-Blanc, Document d’orientation, 2011.

Effectivement on voit se dessiner des pistes de sortie de la crise alimentaire que l’Année internationale de l’agriculture familiale telle qu’adoptée par l’ONU pour 2014 pourra vraisemblablement mettre en évidence et approfondir.

Pour en savoir plus

  • Sur l’agriculture dans le monde
    • Brunel, S. (2009). Nourrir le monde, vaincre la faim, Larousse, Paris.
    • Carfantan, J.-Y. (2009), Le choc alimentaire mondial, Albin Michel, Paris.
    • Favreau, L. et E. Molina (2012), Le mouvement coopératif québécois et la solidarité internationale. L’expérience de SOCODEVI. Éd. ARUC-DTC, ARUC-ISDC avec la collaboration de SOCODEVI. Disponible sur le site de la CRDC à l’Université du Québec en Outaouais
    • Griffon M. et F. Griffon (2011), Pour un monde viable. Changement global et viabilité planétaire. Éd. Odile Jacob, Paris.
    • Griffon, M. (2006), Nourrir la planète, Éd. Odile Jacob, Paris.
    • Houée, P. (2009). Repères pour un développement humain et solidaire, Paris, Éd. De l’Atelier.
    • Lipietz, A. (2009). Face à la crise : l’urgence écologique, Ed. Textuel, Paris.
    • Lipietz, A. (2012), Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste, Éd. La Découverte, Paris.
    • Mcsween, Nathalie (2011), Nourrir le monde, nourrir l’Afrique : les luttes paysannes ouest-africaines mises en perspective. Carnet de la CRDC
    • Robin, M.-M. (2011). Notre poison quotidien, Paris, La Découverte.
  • Sur l’agriculture au Québec et dans le monde
    • Doucet, Chantale (2010), Agricultures, souveraineté alimentaire et coopératives : les enjeux. Carnet de la CRDC
    • GESQ (2010), La souveraineté alimentaire, Université d’été du GESQ, Centre d’arts du Mont-Orford, Estrie (disponible sur le site du GESQ).
    • Morisset, M. (1987). L’agriculture familiale au Québec, Paris, L’Harmattan.
    • Morisset, M. (2010). Politique et syndicalisme agricoles au Québec, Québec, PUL.

[1Cette entrevue a été réalisée dans le cadre d’une recherche que la CRDC mène sur le travail d’UPA-DI dans les pays du Sud. Enquête effectuée par Louis Favreau et Ernesto Molina de l’équipe scientifique de la CRDC


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